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Acompte sur dividende en SRL: une opportunité fiscale strictement encadrée par le droit des sociétés

La perspective d’un relèvement du précompte mobilier de 15 % à 18 % sur les dividendes VVPRbis a relancé, en cette fin d’année 2025, l’intérêt pour les acomptes sur dividende.

Mais derrière la tentation fiscale se cache une réalité juridique souvent sous-estimée : en SRL, l’acompte sur dividende n’est ni automatique, ni librement décidée par l’assemblée générale. Il obéit à des règles strictes du Code des sociétés et des associations (CSA), dont le non-respect expose à une nullité de la décision… et à une responsabilité des administrateurs.

Cet article vise à clarifier, au-delà de ce que nous avons déjà abordé, de manière précise, qui peut décider quoi, dans quelles conditions, et quels sont les risques pratiques, afin d’éviter que l’optimisation fiscale ne se transforme en faute de gouvernance.

FiscalitéOECCBBAcompte sur dividende avant le 31 décembre 2025: opportunité fiscale ou faux bon calcul ?


1. Acompte sur dividende et dividende intérimaire : deux mécanismes à ne pas confondre

Le CSA distingue clairement deux techniques de distribution en cours d’exercice :

  • Le dividende intérimaire, décidé par l’assemblée générale, qui porte exclusivement sur des bénéfices reportés ou des réserves disponibles issues d’exercices antérieurs ;
  • L’acompte sur dividende, qui porte sur le bénéfice de l’exercice en cours et relève d’un régime juridique spécifique.

Cette distinction est fondamentale : l’acompte sur dividende n’est pas une compétence de l’assemblée générale.


2. En SRL, l’acompte sur dividende relève exclusivement de l’organe d’administration

En vertu de l’article 5:142, §2 CSA, seul l’organe d’administration peut décider la distribution d’un acompte sur dividende, à deux conditions cumulatives.

D’une part, les statuts doivent expressément l’autoriser.

À défaut de clause statutaire explicite, aucune distribution d’acompte sur dividende n’est légalement possible, quelle que soit la volonté des actionnaires.

D’autre part, la décision doit respecter l’intégralité du régime des distributions, à savoir :

  • l’établissement d’un état actif-net actualisé,
  • la réalisation d’un test de liquidité, engageant la responsabilité personnelle des administrateurs,
  • et une décision formelle, dûment motivée, de l’organe d’administration.

Conclusion juridique claire :

Si les statuts d’une SRL ne prévoient pas explicitement la faculté de verser un acompte sur dividende, toute décision en ce sens est illégale, y compris si elle émane d’une assemblée générale extraordinaire unanime.


3. L’assemblée générale n’a pas de pouvoir supplétif

Une idée reçue persiste : celle selon laquelle une AGE pourrait “remplacer” l’organe d’administration en cas d’urgence fiscale.

Cette interprétation est incorrecte.

Le CSA repose sur une répartition impérative des compétences.

L’assemblée générale ne peut ni :

  • décider un acompte sur dividende,
  • ni ratifier a posteriori une décision illégale prise par les administrateurs,
  • ni contourner l’absence de base statutaire.

Une AGE qui déciderait malgré tout un acompte sur dividende exposerait la société à :

  • une requalification fiscale,
  • une nullité civile de la distribution,
  • et une responsabilité conjointe des administrateurs et bénéficiaires, en cas d’insolvabilité ultérieure.


4. L’enjeu fiscal ne neutralise pas l’exigence juridique

Sur le plan fiscal, la question du taux de précompte mobilier applicable (15 % ou 18 %) dépend du fait générateur, à savoir la mise en paiement du dividende, sous réserve de l’entrée en vigueur de la loi à venir.

Mais cette analyse fiscale n’a de sens que si la distribution est juridiquement valable.

Une distribution fiscalement “optimisée” mais juridiquement irrégulière ne protège ni la société, ni l’expert-comptable, ni l’administrateur.

Autrement dit, l’urgence fiscale de décembre 2025 ne justifie jamais une entorse au CSA.


5. Illustration pratique

Prenons une SRL dont :

  • les statuts ne prévoient pas la faculté d’acompte sur dividende,
  • le bénéfice 2025 est substantiel,
  • les actionnaires souhaitent bénéficier du taux de 15 % avant une réforme annoncée.

Dans ce cas :

  • un dividende intérimaire reste envisageable uniquement sur réserves disponibles antérieures ;
  • un acompte sur dividende est juridiquement exclu, sauf modification statutaire préalable (ce qui suppose temps, formalités et cohérence globale).

La tentative de “forcer” la distribution via une AGE serait un faux bon calcul, tant sur le plan juridique que déontologique.


6. Conclusion

L’acompte sur dividende en SRL est un outil puissant, mais strictement encadré.

Il ne s’agit ni d’un droit automatique des actionnaires, ni d’un instrument de dernière minute mobilisable à des fins purement fiscales.

Le message à retenir pour la profession

Avant toute réflexion sur le taux de précompte, il convient de vérifier la compétence, la base statutaire et la conformité au CSA.

À défaut, l’optimisation se transforme en risque — pour la société, pour ses dirigeants, et pour les conseillers qui l’accompagnent.

Dans le contexte actuel de réformes annoncées mais non encore stabilisées, le rôle de l’expert-comptable est plus que jamais celui d’un gardien de l’équilibre entre fiscalité, droit des sociétés et prudence économique.

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