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À l’ère de l’ultracrépidarianisme, réflexions sur les "épaules les plus larges"

« Il faut construire plus de logements sociaux pour loger ceux qui sont expulsés de leurs logements sociaux » insista Sébastien Delogu, député de la France Insoumise.

Une belle personne que cet individu.

Le 28 mai 2024, il est exclu pour 15 jours de l’Assemblée nationale pour avoir brandi, lors d’une séance de questions au gouvernement, un drapeau de la Palestine, et privé de la moitié de son indemnité parlementaire pour deux mois, sanction la plus sévère.

En mai 2025, dans le livre d’enquête La Meute de Lucas Jakubowicz, il est décrit comme se vantant de sa notoriété, déclarant : « Mélenchon c’est Dieu, et moi je suis le fils de Dieu ». Ses adversaires dénoncent des méthodes de « charognard prêt à tout », évoquant des attitudes jugées déplacées voire inquiétantes. Des propos particulièrement violents à l’égard des femmes lui sont également attribués, dont des insultes misogynes et des menaces de viol proférées en public. La France Insoumise prend régulièrement ses distances avec lui : le parti affirme que « les propos de Delogu sont personnels et ne reflètent ni le groupe parlementaire, ni le mouvement ».

Il comparaît en janvier 2025 pour « violences aggravées » et « refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques » pour avoir frappé des fonctionnaires lors d’une altercation devant le lycée Saint-Exupéry le 10 mars 2023. Il est accusé d’avoir causé « une incapacité totale de travail d’une journée » par des coups de pied dans les chevilles du proviseur adjoint et de la conseillère principale d’éducation du lycée. Il est condamné en février 2025 à 5.000 EUR d’amende pour violences volontaires sur des membres du personnel de l’Éducation nationale et doit également verser 1.600 EUR d’indemnités aux deux fonctionnaires par le tribunal correctionnel de Marseille.

Il fait actuellement l’objet d’une enquête suite à des soupçons de vol, recel de vol, mise en danger par révélation d’informations relatives à la vie privée par communication publique en ligne, et atteinte au secret des correspondances.

Vraiment un chouette gars ce représentant de la Nation …. mais il a eu une jeunesse difficile, plaidera certainement son avocat. Nous n’avons heureusement pas de forcenés de ce genre parmi nos 150 députés (pour 11.825.551 millions d’habitants ; 577 en France pour 68,6 millions d’habitants ; ils devraient être 870 pour garder le même ratio que nous, ou chez nous seulement … 100).

Malgré cette surreprésentation populaire, la qualité générale n’y est plus non plus chez nous. Il y a près de trente ans, l’inégalable Pierre Desproges déplorait déjà : « Nous n’avons plus de grands hommes mais des petits qui grenouillent et sautillent de droite et de gauche avec une sérénité dans l’incompétence qui force le respect » (Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis, Seuil, 1997).

« Depuis que la parole est bavarde, l’éloquence rare, le débit monocorde et la gestuelle insignifiante, on se demande encore comment, du haut de ses chaires, la gent politique peut continuer à séduire, convaincre, retenir l’attention », s’étonne le journaliste Jean-Michel Dijan.

Dans ce climat de grande pauvreté intellectuelle, où nombre de parlementaires se contentent de faire mumuse dans les hémicycles, ce qui ne peut que conforter les collapsologues dans leur thèse, on cherche à utiliser une formule susceptible de retenir l’attention du plus grand public, même si elle ne veut rien dire. C’est même mieux.

« En politique, quand on ne sait pas quoi faire, il faut se résoudre à ne rien faire, et quand on ne sait pas quoi dire, à dire ce qu’on pense » conseillait Winston Churchill.

L’expression « Il faut faire contribuer les épaules les plus larges » est devenue du radotage de la part de certains politiques, reprise en écho par des journalistes friands de cancans qu’ils croient coruscants. Elle a été critiquée très justement quant à son imprécision par le président de l’OECCBB, Emmanuel Degrève (opinion publiée sur le blog de l’Ordre de 11 juillet 2025, dans la Libre Eco et sur le blog FFF) avec le sérieux qui sied à la fonction ; nous pouvons nous permettre un peu plus de légèreté.

L’un de ses torts est de s’inscrire dans ce climat malsain qui consiste à accuser l’autre, sans que l’on sache qui il est. Tout fardeau semble de toute façon léger sur les épaules d’autrui, ici réputées de surcroît les plus larges.

« Faire contribuer les épaules les plus larges » est un slogan fort peu élégant mais surtout une formule vicieuse car elle permet à tout un chacun de penser qu’il ne fait pas partie de la catégorie vouée aux gémonies et qu’il restera par conséquent à l’abri de cet irrépressible besoin qu’ont la majorité des élus, une fois que nous leurs avons accordé nos suffrages, de nous taxer toujours davantage, parfois par des procédés détournés qui n’en portent pas officiellement le nom (gel de certains montants, conditions plus sévères pour accéder à des avantages fiscaux, suppression de réductions d’impôt, etc.).

On prétend qu’au dernier salon international des inventeurs, quatre d’entre eux ont été primé : un hollandais pour avoir inventé la caravane volante pour aller en vacances en évitant les embouteillages, un italien pour avoir inventé un moyen de parler sa belle langue sans bouger les bras et les mains, un français pour avoir inventé un appareil qui rend ses compatriotes moins râleurs et un belge pour avoir inventé un moyen de taxer ces trois inventions !

Les « épaules les plus larges ». Voilà un beau sujet d’inspiration pour cet été, sans pour autant ratiociner.

En fait, on ignore peut-être que c’est la Vivaldi chère à Alexander qui est venue la première avec cette formule (en tout cas les électeurs de l’Open VLD s’en sont souvenus et ont infligé à son parti la plus grosse déculottée de tous les temps), résultat d’un compromis entre ledit Alexander et un certain Paul du boulevard de l’Empereur.

Dès lors que l’on a pris dans l’Arizona les socialistes flamands et repris les sociaux-chrétiens flamands (deux formations qui ont toujours adoré augmenter les impôts ; c’est tellement facile quand il s’agit de l’argent des autres), on pouvait reprendre la formule.

En octobre 2020, suite à la première ‘sortie’ de l’épigramme, l’humoriste Bruno Coppens s’en était donné à cœur joie.

« Une contribution de la part de ceux qui ont les épaules les plus larges » … il s’était empressé de souligner la bonne nouvelle …. il allait être enfin récompensé d’avoir systématiquement reporté son inscription en salle de musculation à l’année ‘bicepstile’ suivante.

Ceux qui avaient chanté du Lavilliers « Nous étions jeunes et larges d’épaules » allaient le regretter.

« Les gens aux épaules les plus larges ». Pourquoi ne pas dire les grandes fortunes, poursuivait-il ? Pourquoi ne pas parler d’impôt mais de contribution (avec l’Arizona, on parle de « contribution de solidarité ») ? On se croirait à un gala de charité où l’animateur demande aux nantis attablés d’acheter des billets de tombola « au profit d’œuvres caritatives » !

Faut-il s’inquiéter pour eux ? Probablement pas, car si quelqu’un a les épaules larges, il a du coup les reins solides et généralement le bras long, il sait comment jouer des coudes pour garder la tête haute.

« Les gens aux larges épaules », cette relation subliminale entre possession financière et musculature vigoureuse lui rappelait ces blagues lourdingues reliant puissance des chevaux d’une voiture et taille de la virilité de son conducteur.

Et puis (le message s’adresse à Paul), Paul, ce n’est pas sympa pour les moins nantis ! Niveau corporel, il leur reste quoi ? La cheville qui est ouvrière, les coudes usés à force de se les serrer et la tête hors de l’eau, si c’est encore possible ?

« Les gens aux épaules les plus larges ». C’est trop flou, Alexander ! Si un fortuné mesurant sa largeur d’épaules découvre qu’il fait un p’tit 55 cm ou pire, il sera quand même taxé ? Et il n’y aurait pas de femmes hyper fortunées car, à part les (ex)nageuses est-allemandes, les épaules les plus larges sont bien masculines, non ?

Et enfin, Paul, ceux qui ont élargi leurs épaules à la force du poignet ne devraient-ils pas verser une plus petite obole que ceux nés une cuillère en argent dans la bouche et le postérieur dans ce produit laitier que leur majordome leur tartine tous les matins au lit ?

L’humoriste terminait par une recommandation : Alexander et Paul, il faut appeler un chat un chat et appeler un œuf un œuf à peler. Qu’on leur fasse des ronds de jambe, du frotte-manche ou les yeux doux, cela n’empêchera pas certaines personnes aux larges épaules à prendre leurs jambes à leur cou afin de ne pas être pris à la gorge. Ils sont comme ça « les larges d’épaules », ils sont « on the road again ». C’est également Lavilliers qui le chantait.

Que signifie l’expression « avoir les épaules larges » ?

C’est arriver à supporter de lourdes charges mentales et physiques. Ici, nouveauté, on ajoutera financières. Le langage populaire a progressivement retenu comme équivalents : « Avoir bon dos », « Charger la barque » (cela ils savent bien le faire), « En remettre une couche » (ils sont champions aussi), « Abuser de la patience ou de la bonté » et « Choisir un bouc-émissaire » (comme en l’occurrence).

Dans le langage et la littérature, les épaules sont apparues tombantes, voutées ; on a parlé d’épaules d’athlète, de boxeur, de nageur ; on peut balancer, rouler, hausser ses épaules ; on peut monter une charge à l’épaule ; s’asseoir épaule contre épaule ; s’intéresser à un objet placé à hauteur d’épaule ; défaire sa veste d’un mouvement d’épaule ; donner une tape sur l’épaule de quelqu’un ; avoir les cheveux qui retombent sur l’épaule ; sangloter contre l’épaule de quelqu’un ; charger un sac sur ses épaules ; avoir la tête enfoncée dans les épaules ; changer son fusil d’épaule ; porter quelqu’un sur ses épaules.

On peut faire en sorte que l’adversaire touche des épaules contre le sol. « On s’installait dans la guerre (...) nous avions repris le dessus, nous lui avions fait toucher les épaules à cette femelle ; on était à présent comme mariés avec elle, la lune de miel était finie » (Paul Vialar, écrivain français, 1898-1996, Le Petit Jour, 1947, p. 288).

Avoir la tête sur les épaules c’est être réaliste, bien équilibré, plein de bon sens (devenu rare dans les hautes sphères). « J’en ai assez de vos devinettes et de vos symboles. J’ai ma tête sur mes épaules, moi, et les pieds par terre. Je vais donner des ordres » (Jean Cocteau, poète français, 1889-1963, La Machine infernale, 1934, p. 133).

Mais « Si tu gardes la tête sur les épaules quand tous autour de toi la perdent, il est possible que tu n’aies pas saisi la situation » (Jean Kerr, humoriste et dramaturge américain, Please don’t eat the daisies).

Plier les épaules, c’est se résigner. « Il lui fallut de longs mois pour plier les épaules et accepter ses souffrances d’homme laid » (Emile Zola, écrivain français, 1840-1902, Le Ventre de Paris, 1873, p. 644).

Retomber sur les épaules de quelqu’un, c’est être mis à la charge de quelqu’un en raison de l’incompétence de celui qui en était d’abord chargé. « Vous passez votre vie à marier les uns et à mettre les autres en terre ; c’est aimable de votre part, mais comme pendant ce temps-là, votre service qui ne se fait pas tout seul me retombe sur les épaules, je vous déclare que j’en ai assez » (Georges Courteline, romancier français, 1858-1929, Messieurs les ronds-de-cuir, Plumeau, 1885, p. 188).

Prêter son épaule à quelqu’un, c’est l’aider de manière efficace. Pas nécessairement de manière positive. « Paris a vu deux ou trois parvenus de ce genre, dont le succès est une honte et pour l’époque et pour ceux qui leur ont prêté leurs épaules » (Honoré de Balzac, écrivain français, 1799-1850, Madame de La Chanterie, 1850, p. 220).

Mais au sens figuré, celui qu’on nous réserve, ‘épaules’ est généralement associé à une charge. Peser sur les épaules contient une idée de poids physique ou moral, une charge pénible à supporter. Chez nous, pécuniaire.

Les plus instruits se rappelleront que Atlas fut condamné par Zeus à porter le monde sur ses épaules pour l’éternité.

Ce sera notre punition ultime quand les taux d’imposition seront de 100%. Ce n’est apparemment pas pour cette législature-ci.

Les philosophes et les grands penseurs ont aussi usé de formules incluant les épaules.

« La charge que soutiennent nos épaules doit être moins lourde que facile à porter » (Démocrite D’Abdère, philosophe grec, né vers 460 av. J.-C. et mort en 370 av. J.-C.).

« Ne charge pas tes épaules d’un fardeau qui excède tes forces » (Horace, poète de l’Antiquité romaine, 65 av. J.-C. - 8 av. J.-C.). Oui mais quand on n’a pas le choix !

Dans une lettre adressée en 1676 à Robert Hooke (scientifique anglais, 1635-1703), Isaac Newton (savant et philosophe anglais, 1643-1727) écrit : « If I have seen further than others, it is by standing upon the shoulders of giants » (« J’ai vu plus loin que les autres parce que je me suis juché sur les épaules de géants »). Pas sur les plus larges ! Celles d’hommes illustres.

Pour sa part, George Bernard Shaw (essayiste et dramaturge irlandais, 1856-1950) observait fort à propos que : « Revolutions have never lightened the burden of tyranny, they have only shifted it onto another shoulder » (« Les révolutions n’ont jamais allégé le fardeau de la tyrannie, elles l’ont seulement transféré sur une autre épaule »).

Avec les nouvelles mesures fiscales qui s’annoncent (nouvelles taxes qui n’en portent parfois pas le nom, suppression d’avantages qualifiés de ‘niches’ par leurs détracteurs, gel de certains montants, augmentations de divers taux ISR, suppression de taux réduits TVA, etc.), ce sont nos épaules qui sont prises pour cibles, car à défaut de trouver les plus larges, car elles partiront sous des cieux plus cléments, si ce n’est déjà fait, on retombera sur les moins larges.

« Ludi incipiant ! » (« Que la fête (les jeux) commence(nt) ! », formule d’ouverture des jeux du cirque à Rome). Celles et ceux qui ne pourront pas fuir le pays y tiendront le rôle des premiers chrétiens à y être conviés ….

Ils pourront tenter de prendre leur infortune ‘par-dessus l’épaule’. C’est-à-dire avec dédain, mépris. Ici, avec résignation.

« Et nous passâmes, pendant qu’ils nous saluaient, et que nous les regardions avec mépris, par-dessus l’épaule » (Emile Erckmann, écrivain français, 1822-1899, et Alexandre -Chatrian, écrivain français, 1826-1890, Histoire d’un paysan, t. 1, 1870, p. 320).

Mais si cette attitude peut éventuellement rendre le massacre plus doux, le fatalisme et la désespérance ayant pris le dessus, il ne le rendra pas moins sanglant.

En attendant, sous d’autres vocables, comme si les gens ne se rappelaient pas que les contributions sont aussi des impôts, on augmente encore et toujours la pression fiscale globale, contrairement aux promesses d’avant élections, et on maintient des raisons d’espérer aux séides d’une société dystopique.

« Aujourd’hui nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celles de nos pères, celles de nos maîtres, celle du monde. Ce qu’on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières » (Montesquieu, philosophe et écrivain français des Lumières, 1689-1755).

Raison de plus de rester ingambes et peut-être de préparer nos valises …

La menace, la crainte correspondante et l’exil des contribuables menacés (ici les investisseurs étrangers) est de tous temps. Le Nouvel Observateur (devenu depuis le NouvelObs) écrivait il y a un demi-siècle dans son édition du 19 avril 1976 (p. 46, col. 2) : « En Italie, la tension sociale, les tracasseries administratives et fiscales et le spectre d'une arrivée de la gauche au pouvoir incitent les businessmen américains à « faire leur valise » chaque fois qu'ils le peuvent ».

Et l’histoire fiscale se répète inlassablement. Henri Queuille (homme politique français. Membre du Parti radical-socialiste, plusieurs fois ministre sous la IIIᵉ République, il fut aussi trois fois président du Conseil sous la IVᵉ République, 1884-1970) observait il y a près de 70 ans que « Toute réforme fiscale consiste à supprimer des impôts sur des choses qui étaient taxées depuis longtemps pour les remplacer par des nouveaux plus lourds, sur des choses qui ne l'étaient pas ».

Rien de nouveau sous le soleil, fût-il d’Arizona … Peut être la forme et les arguments … mais le résultat final sera plus que probablement le même. La déception doit être grande chez celles et ceux qui avaient rêvé à un changement de paradigme.


Cet édito est aussi mon1017e article et l'éditorial du numéro 493 de la Lettre fiscale belge (20e année de publication) dont je suis le rédacteur en chef.


Petit lexique (de mots moins souvent, voire rarement, utilisés)

  • Ultracrépidarianisme : comportement consistant à donner son avis sur des sujets à propos desquels on n’a pas de compétence.
  • Forcené : dont la violence est intense, qui dépasse toute mesure.
  • Grenouiller : Au fig., péj., surtout dans le domaine de la politique : participer à des intrigues, à des tractations malhonnêtes, le plus souvent pour obtenir des avantages.
  • Faire mumuse : se livrer à une activité puérile.
  • Collapsologue ; personne qui défend les thèses de la collapsologie ; laquelle est la théorie de l’effondrement global et systémique de la civilisation industrielle, considéré comme inéluctable à plus ou moins brève échéance, et des alternatives qui pourraient lui succéder.
  • Radotage : tendance à répéter plusieurs fois les mêmes mots, phrases ou histoires, sans que cela soit adapté.
  • Cancan : bavardage malveillant.
  • Ratiociner : se perdre en raisonnements trop subtils et interminables.
  • Épigramme : trait satirique, mot spirituel
  • Subliminal : qui est inférieur au seuil de la conscience.
  • Séide : adepte fanatique d’une doctrine, exécutant aveugle les volontés d’un maître, d’un chef.
  • Société dystopique : société organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contrainte de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre.
  • Ingambe : qui est alerte dans ses mouvements.
  • Paradigme : représentation du monde, une manière de voir les choses.

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