
La Belgique consacre chaque année près de 25 milliards d’euros à ses subventions et aides aux entreprises. Cela représente environ 4 % du PIB, soit davantage que le budget de la santé publique ou de l’enseignement supérieur réunis.
Ce chiffre impressionne, inquiète parfois, mais il mérite surtout d’être compris. Car derrière cette dépense se cache une réalité plus complexe qu’un simple « trop-plein de générosité publique ».
Depuis le début des années 2000, la part des subventions dans le PIB belge a progressé d’environ 1,5 %, une évolution nettement supérieure à celle observée chez nos voisins.
Mais contrairement à ce que certains discours laissent entendre, ces montants ne sont pas d’abord des « cadeaux » faits aux entreprises : près des deux tiers de ces aides sont des subventions salariales.
Elles visent à compenser le poids anormalement élevé de la fiscalité sur le travail, à préserver la compétitivité et à maintenir l’emploi dans un environnement où le coin fiscal belge reste parmi les plus élevés du monde selon l’OCDE et la Tax Competitiveness Index 2025.
On pourrait presque dire que la Belgique subventionne sa propre fiscalité : elle distribue d’une main pour corriger ce qu’elle prélève de l’autre.
Les conclusions de la Banque nationale (étude ci-dessous) rappellent combien la réalité est nuancée.
Certaines subventions atteignent clairement leurs objectifs.
Les aides aux entreprises de titres-services ont permis de formaliser des emplois domestiques tout en répondant à un besoin social.
Les dispenses de précompte professionnel pour les chercheurs ont renforcé les investissements en R&D et soutenu l’innovation.
Mais d’autres dispositifs sont plus discutables.
Les réductions de cotisations sociales pour les travailleurs âgés n’ont guère prolongé la carrière des bénéficiaires, et les incitants à la première embauche coûtent jusqu’à 100.000 euros par emploi supplémentaire.
Ce ne sont donc pas les subventions en elles-mêmes qui posent problème, mais leur rendement collectif.
Le diagnostic est connu : beaucoup d’aides entretiennent des comportements existants plutôt qu’elles ne les transforment.
En expertise comptable, on dit souvent que la dernière ligne du compte de résultat ne ment jamais.
Appliqué aux finances publiques, ce principe donne un résultat troublant : la Belgique multiplie les mécanismes de correction sans s’attaquer à la cause.
Chaque subvention compense une rigidité ou un excès – fiscal, administratif ou réglementaire – qu’aucune réforme structurelle ne vient réellement corriger.
L’État soutient parfois par désarroi. Il cherche à rendre vivable un système qui pèse de plus en plus lourd sur le travail et la production, et crée ainsi une dépendance mutuelle entre entreprises et finances publiques.
La Banque nationale ne plaide pas pour un grand coup de ciseaux budgétaire, mais pour une méthode : transparence, évaluation et ciblage.
Certaines aides sont efficaces et socialement justifiées ; d’autres méritent un examen plus critique.
Les supprimer sans réforme de fond reviendrait à ôter la béquille sans soigner la jambe.
Mais les maintenir sans contrôle, c’est prolonger l’illusion d’un équilibre artificiel.
En réalité, la question n’est pas de savoir s’il faut dépenser moins, mais dépenser mieux.
Mieux, c’est-à-dire : orienter les moyens vers les leviers de compétitivité durable — innovation, transition, emploi de qualité — plutôt que vers la compensation des faiblesses structurelles.
C’est aussi faire confiance à la clarté budgétaire : un euro de subvention doit avoir un objectif clair, mesurable et temporaire.
La dépense publique n’est pas une faute, mais elle devient une erreur quand elle cesse d’être stratégique.
Et dans les comptes de la Nation, comme dans ceux des entreprises, une seule ligne doit guider l’analyse : celle de la cohérence économique.