En matière de lutte contre le blanchiment d'argent, l’ITAA passera-t-il la main ?
Qui veillera au respect des obligations légales des experts-comptables en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux en 2027 ?
Introduction
En 2024, les autorités européennes ont adopté un ensemble de mesures visant à renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ce « Pack AML 2024 » comprend notamment la directive (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024, qui modifie et abroge la directive (UE) 2015/849, tout en apportant des ajustements à la directive (UE) 2019/1937.
Ce nouveau cadre ne constitue pas une révolution, mais s’inscrit dans la continuité des approches antérieures, fondées sur l’analyse des risques. Il en représente un raffinement, voire un aboutissement. Toutefois, des changements significatifs sont attendus d’ici 2027.
Cette contribution se concentre sur l’une des nouveautés majeures introduites par ce paquet législatif : le contrôle des entités assujetties par leur organisme d’autorégulation .
La situation actuelle
Selon l’article 85, §1er, 7° de la loi du 18 septembre 2017 (dite loi LAB), l’Institut des Conseillers fiscaux et des Experts-comptables (ITAA) est chargé de veiller au respect, par les experts-comptables, des obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
La Cour constitutionnelle, dans son arrêt n° 152/2024 du 12 décembre 2024, a rappelé que :
« Les États membres peuvent permettre que ces fonctions soient exercées par un organisme d’autorégulation (article 48, paragraphe 9). En désignant l’ITAA comme autorité de contrôle, le législateur belge a fait usage de la marge d’appréciation que lui confère la directive (UE) 2015/849. »
Le recours à un organisme d’autorégulation tel que l’ITAA est donc une faculté, non une obligation, pour les États membres.
Ce que prévoit le Pack AML 2024
La directive (UE) 2024/1640 souligne que, bien que les États membres puissent confier la surveillance à des organismes d’autorégulation, la qualité et l’intensité de cette surveillance ont souvent été jugées insuffisantes, et rarement soumises à un contrôle public effectif .
Ainsi, lorsqu’un État choisit de déléguer cette mission à un organisme d’autorégulation, il doit également désigner une autorité publique indépendante chargée de superviser les activités de cet organisme. Cette autorité :
• ne remplace pas l’organisme d’autorégulation dans ses fonctions de surveillance ;
• n’intervient pas dans les décisions individuelles ;
• peut toutefois se voir confier des missions supplémentaires, à condition qu’elles respectent les droits fondamentaux, notamment la confidentialité des échanges entre un expert-comptable et son client.
Autrement dit, les organismes d’autorégulation n’auraient pas toujours rempli leur rôle de manière satisfaisante, justifiant à présent un encadrement renforcé.
Il convient de noter que ni la Belgique ni l’ITAA ne sont spécifiquement visés, mais comme souvent, les mesures correctives s’appliquent collectivement.
Et en 2027 ?
La directive impose désormais que toute entité d’autorégulation exerçant une fonction de surveillance soit placée sous la supervision d’une autorité publique indépendante, qui devra :
• vérifier que l’organisme dispose des ressources nécessaires ;
• élaborer des orientations pour l’exercice des fonctions de contrôle ;
• s’assurer de l’efficacité et de l’adéquation des contrôles ;
• examiner les dérogations accordées à l’obligation d’évaluation des risques ;
• informer régulièrement les organismes d’autorégulation des activités pertinentes de l’Autorité de Lutte contre le Blanchiment de Capitaux (ALBC).
Cette autorité publique pourra également :
• exiger toute information pertinente, à l’exception de celles couvertes par le secret professionnel dans le cadre de la défense ou représentation juridique ;
• adresser des instructions à l’organisme d’autorégulation en cas de manquement.
Elle pourra donc s’adresser tant aux entités assujetties qu’à l’organisme d’autorégulation.
Conclusion
À ce jour, il est encore trop tôt pour savoir comment ces nouvelles normes seront transposées en droit belge. Sauf erreur, l’ITAA n’a pas encore communiqué sa position officielle.
Plusieurs scénarios sont toutefois envisageables :
1. Retrait de la fonction de surveillance à l’ITAA, au profit d’une autorité publique existante ou à créer, comme c’est le cas au Luxembourg, où la surveillance des professionnels de la comptabilité est assurée par l’administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA.
2. Création d’une entité tierce, à l’image du Collège de supervision des réviseurs d’entreprises, organisme autonome et indépendant, lié à la FSMA, mais où les réviseurs sont représentés. Une sorte de voie médiane entre le contrôle externe et le contrôle par l’organisme d’autorégulation
3. Maintien de l’ITAA dans son rôle, mais en toute hypothèse sous la supervision d’une autorité publique (FSMA ou autre organisme à définir).
Dans tous les cas, on peut s’attendre à un renforcement des contrôles et à une application plus rigoureuse des sanctions en cas de manquement aux obligations professionnelles.
À l’heure actuelle, aucune information officielle ne circule quant aux discussions en cours entre l’ITAA et les autorités publiques. Il est donc temps de s’intéresser à la question avant qu’une décision n’intervienne tel un couperet : sans réelle concertation.
Victor Alvarez Fernandez
Juriste - FID-Manager - WinAuditor