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Le droit à l’erreur en matière fiscale: portée et limites de la réforme du 18 juillet 2025

1. Contexte jurisprudentiel et législatif

Depuis plusieurs années, la combinaison entre l’accroissement d’impôt de 10 % (article 444 CIR 92) et le mécanisme d’exclusion des déductions fiscales prévu à l’article 207, alinéa 7 CIR 92 (aujourd’hui repris à l’article 206/3) alimente la controverse.

Dès qu’un accroissement d’au moins 10 % est appliqué, l’administration refuse l’imputation de pertes (y compris celles de l’exercice en cours), ainsi que d’autres déductions reportées.

Le simple retard dans le dépôt d’une déclaration peut ainsi déclencher un enchaînement automatique : taxation d’office, accroissement, exclusion des déductions. Le résultat fiscal imposé devient artificiel, parfois très éloigné de la capacité contributive réelle du contribuable.

Ainsi, en cas de simple retard de quelques jours dans l’introduction d’une déclaration (retard souvent imputable aux dysfonctionnements des outils informatiques fournis par l’administration fiscale), une société déficitaire peut être amenée à payer des impôts et leurs accroissements alors qu’elle ne dispose pas de liquidités le lui permettant.

Plusieurs juridictions de fond avaient déjà exprimé des doutes quant à la proportionnalité du système. Deux arrêts récents de la Cour constitutionnelle ont marqué une étape décisive à ce sujet :

  • L’arrêt n° 129/2023 du 21 novembre 2023 avait indiqué que l’accroissement ne s’appliquait « en principe » pas en cas de première infraction commise sans intention de fraude, formule ambiguë qui a nourri des interprétations divergentes ;
  • L’arrêt n° 90/2025 du 19 juin 2025 a confirmé la constitutionnalité du mécanisme, mais à des conditions strictes : la Cour a qualifié l’accroissement de sanction « à connotation pénale » au sens de l’article 6, § 1 CEDH. Elle en a déduit que le juge fiscal doit exercer un contrôle de pleine juridiction sur son application, en vérifiant que la sanction est proportionnée aux circonstances concrètes (gravité de l’infraction, bonne foi du contribuable, impact économique).

En d’autres termes, la Cour a vidé de sa portée l’automatisme fiscal, en réintroduisant un filtre de proportionnalité sous contrôle du juge.

C’est dans ce climat que le législateur est intervenu, en insérant un droit à l’erreur dans l’article 444 CIR 92.


2. La réforme du 18 juillet 2025 : le nouveau texte légal

L’article 38 de la loi-programme du 18 juillet 2025 parue au Moniteur belge du 29 juillet 2205. remplace l’alinéa 3 de l’article 444 CIR 92 par la formule suivante :

« Il est renoncé à l’accroissement d’impôt pour la première infraction commise de bonne foi. La bonne foi est, jusqu’à preuve du contraire, présumée exister dans le chef du contribuable qui a commis une première infraction, sauf en cas d’application de l’article 351. »

L’article 39 précise que la réforme ne s’applique qu’aux impositions enrôlées à partir de la publication de la loi au Moniteur belge, soit le 29 juillet 2025.

Trois éléments ressortent clairement du texte :

  1. L’administration a désormais l’obligation de renoncer à l’accroissement pour la première infraction commise de bonne foi.
  2. La bonne foi est présumée, sauf en cas de taxation d’office (article 351 CIR 92).
  3. Le bénéfice de la mesure est strictement limité à la première infraction.


3. De la faculté à l’obligation

Le régime antérieur permettait déjà à l’administration de ne pas appliquer l’accroissement minimum de 10 % lorsqu’aucune mauvaise foi n’était constatée. Mais cette faculté était discrétionnaire et, en pratique, de plus en plus rarement utilisée.

Le nouveau régime impose la renonciation, ce qui paraît renforcer la protection du contribuable. En réalité, le champ est plus étroit : la faculté générale de renonciation disparaît au profit d’une dispense automatique limitée à la première infraction. Une seconde infraction commise de bonne foi pourra donc être sanctionnée, là où l’administration conservait auparavant encore une marge d’appréciation pour renoncer à l’accroissement.


4. La notion de « bonne foi » : un critère à géométrie variable

Le texte de loi ne définit pas la bonne foi. Les travaux préparatoires se réfèrent à l’article 1.9 du Code civil, selon lequel la mauvaise foi suppose la connaissance (ou la connaissance présumée) des faits rendant l’acte illicite. En matière fiscale, cela recouvre la connaissance – ou l’ignorance fautive – de la norme applicable.

Le commentaire parlementaire illustre la distinction par quelques exemples :

  • mauvaise lecture d’une attestation fiscale : bonne foi présumée,
  • surestimation raisonnable d’un usage professionnel : bonne foi présumée,
  • déduction fictive ou manifestement abusive : absence de bonne foi.

Ces indications restent casuistiques et laissent à l’administration une marge d’appréciation notable, surtout en cas de taxation d’office où la présomption légale de bonne foi est exclue.


5. L’exclusion en cas de taxation d’office

Le nouvel alinéa 4 de l’article 444 CIR 92 écarte explicitement la présomption de bonne foi lorsque l’article 351 CIR 92 est appliqué.

Selon l’article 351 CIR 92, l’administration peut taxer d’office lorsque le contribuable :

  • n’a pas déposé de déclaration dans les délais légaux (articles 307 à 311 CIR 92),
  • n’a pas corrigé les vices de forme de sa déclaration dans le délai imparti,
  • n’a pas communiqué les livres, documents ou registres exigés (articles 315 et 315bis CIR 92),
  • n’a pas fourni les renseignements demandés dans le délai légal (article 316 CIR 92),
  • ou n’a pas répondu dans le délai fixé à l’avis de rectification (article 346 CIR 92).

Dans ces cas, l’administration peut déterminer la base imposable par présomption ou par d’autres modes de preuve spéciaux, sans tenir compte de la déclaration du contribuable.

En cas de taxation d’office, le nouvel article 444 ne rend pas la bonne foi impossible à établir, mais renverse la charge de la preuve : c’est au contribuable de la démontrer.

Les travaux préparatoires ajoutent que la bonne foi en cas de taxation d’office serait « difficilement concevable ». Cette affirmation, qui n’a pas valeur normative, traduit néanmoins une présomption défavorable. Elle fragilise la protection de contribuables qui, pour des raisons matérielles (problèmes de santé, difficultés techniques, absence temporaire), n’ont pas pu déposer leur déclaration dans les délais.


6. La question de la « première infraction » et le mécanisme du reset quadriennal

Le texte légal ne définit pas la « première infraction ». Se fondant sur l’article 227 de l’arrêté royal d’exécution du CIR 92, les travaux préparatoires précisent qu’un contribuable est considéré comme primo-délinquant s’il n’a commis aucune infraction au cours des quatre derniers exercices d’imposition. La récidive est donc appréciée sur un cycle de quatre ans : après ce délai, l’historique est « effacé » et le contribuable retrouve le bénéfice de la présomption.

Il convient de noter que l’absence de majoration appliquée à une première infraction n’efface pas cette infraction de l’historique. Elle peut toujours être invoquée pour justifier un accroissement ultérieur plus élevé. L’infraction suivante sera donc bien une seconde infraction et ainsi de suite.


7. Appréciation critique : un progrès inachevé

La réforme inverse la logique en faveur du contribuable : l’administration doit désormais établir la mauvaise foi pour maintenir l’accroissement. Cette évolution est salutaire et rapproche le droit fiscal du droit commun des sanctions.

Mais plusieurs limites demeurent :

  • La présomption de bonne foi ne vaut qu’en cas de première infraction ;
  • Le champ d’application est restreint aux impôts sur les revenus, contrairement aux engagements politiques qui visaient « tous les impôts ». Les sanctions automatiques en TVA ou en droits d’enregistrement ne sont pas concernées ;
  • La notion de bonne foi reste indéterminée, et son appréciation demeure casuistique ;
  • La taxation d’office constitue une zone d’exclusion quasi systématique alors même que c’est dans ces cas que l’ancien article 444, combiné à l’article 207, alinéa 7 CIR 92 (aujourd’hui repris à l’article 206/3) posait le plus problème ;
  • Enfin, le barème rigide des accroissements (10 %, 20 %, 30 %, 50 %, 100 %, 200 %) n’est pas remis en cause. La seconde infraction reste ainsi sanctionnée d’un accroissement de 20 %.

En définitive, le législateur a consacré le droit à l’erreur comme principe, mais il en a réduit la portée pratique. La réforme, plus symbolique que structurelle, laisse aux juges un rôle essentiel : celui de définir la bonne foi.​

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