
Un bel exemple de langue de bois de l’administration fiscale.
La Circulaire 2025/C/56 intervient dans un contexte de profond désaccord entre la position traditionnelle de l’administration fiscale (et jusque-là celle des contribuables) d’une part, et les récentes décisions de justice d’autre part.
En particulier, la Cour de cassation, dans son arrêt du 21 décembre 2023 ( F.22.0013.N – F.22.0056.N), a estimé que l’article 368 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92) ne devait pas être considéré comme instituant un “recours administratif organisé” — c’est-à-dire que la procédure de réclamation n’est pas un préalable obligatoire à l’introduction d’une action en justice pour la restitution du précompte indûment versé.
Puis, la Cour constitutionnelle, par son arrêt n° 43/2025 du 13 mars 2025, a confirmé que l’article 368 CIR 92 devait être interprété comme fixant un délai de prescription pour introduire l’action en restitution — sans exiger au préalable qu’une réclamation administrative ait été formée.
Ce contexte judiciaire a suscité un “flou” – et un risque pratique pour les contribuables – sur la nécessité et l’utilité d’une réclamation avant d’aller devant un tribunal.
C’est dans ce contexte que l’administration fiscale publie la Circulaire 2025/C/56.
Quelle est la position de l’administration ?
L’administration, dans la circulaire, maintient sa position traditionnelle : pour elle, la réclamation (et donc la demande de restitution) reste un préalable obligatoire
pour obtenir le remboursement d’un précompte mobilier ou professionnel non enrôlé.
Elle invoque notamment le fait que les articles 368 et 368/1 CIR 92 figurent dans la section “Recours administratif” du code, ce qui, selon l’administration, justifie la qualification de la demande de restitution en tant que recours administratif.
En pratique, l’administration indique qu’elle contestera la recevabilité des actions en justice introduites sans qu’une réclamation préalable ait été formée dans le délai imparti.
Toutefois, la circulaire semble prévoir que, pour ce qui est de la prescription, seule l’introduction de la réclamation dans le délai légal importe — et non pas l’introduction de l’action en justice immédiatement.
Comme le précise l’administration : si la réclamation est bien introduite dans les délais, l’action en justice pourra être intentée ultérieurement, même si le délai de cinq (ou trois) ans est écoulé.
Ainsi, l’administration cherche à préserver l’équilibre entre ses pratiques historiques et le nouveau paysage jurisprudentiel — tout en affirmant clairement qu’elle entend continuer à exiger ce préalable administratif.
La circulaire est en totale contradiction avec la position des hautes juridictions (Cour de cassation et Cour constitutionnelle).
Ces dernières considèrent que l’article 368 CIR 92 institue un simple délai de prescription pour l’action en restitution, sans exiger une étape préalable de réclamation.
Cela pose un dilemme pratique pour les contribuables : suivre la voie “prudente” de l’administration (introduire une réclamation puis éventuellement une action en justice), ou s’appuyer sur la jurisprudence récente et introduire directement une action en justice, en espérant que le tribunal retienne les conclusions de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle, malgré l’absence de réclamation.
La circulaire crée un risque: un contribuable pourrait introduire rapidement une réclamation (par sécurité), mais l’administration retarder la procédure ou ne pas y répondre — et du coup, si le contribuable omet d’introduire l’action en justice dans le délai, il pourrait perdre définitivement ses droits.
À l’inverse, une action en justice sans réclamation préalable pourrait être jugée irrecevable si le tribunal suit l’interprétation de l’administration, ce qui entraînerait une perte sèche pour le contribuable.
Pour le professionnel qui doit conseiller ses clients, cette insécurité est particulièrement problématique.
Les contribuables sont placés dans l’incertitude quant à la voie la plus “sûre”.
L’argumentaire civiliste (la prescription comme délai et pas de recours administratif préalable) semble s’imposer en droit, mais l’administration maintient sa position — ce qui laisse la question ouverte jusqu’à ce qu’un tribunal tranche en la matière.
Comme l’indiquent déjà certains commentateurs, seule une loi interprétative clarifiant le régime — confirmant soit la position jurisprudentielle, soit la position administrative — pourra mettre fin à cette période d’incertitude.
Face à un tel imbroglio, que dire à vos clients ?
Pour ma part, je leur recommande de :
Soit introduire très rapidement une réclamation en cas de précompte payé à tort — afin de préserver la “sécurité administrative” selon l’interprétation classique.
Soit — si le délai approche — envisager l’introduction d’une action en justice directe pour récupérer le précompte, en s’appuyant sur les décisions des hautes juridictions.
Même cela comporte un risque contentieux d’irrecevabilité, selon la position de l’administration.
Et le tout en surveillant de près les décisions de tribunaux en la matière, pour voir si la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle s’impose malgré la circulaire.
À mon sens, la circulaire 2025/C/56 incarne une réaction conservatrice de l’administration : face à une jurisprudence qui bouleverse sa pratique, elle choisit de maintenir l’exigence de réclamation administrative.
Ce choix est compréhensible pour garantir un minimum de contrôle et de procédure, mais il est juridiquement fragile — parce que fondé sur une interprétation discutable de l’article 368 CIR 92, en contradiction avec la position des juridictions suprêmes.
Pour cette raison, je considère que la circulaire ne constitue pas un “motif convaincant” pour renoncer à une stratégie contentieuse — surtout dans les cas où le précompte est manifestement indu, et que l’intérêt (montant, ancienneté, complexité des structures) justifie des frais et un risque. À long terme, seule une clarification législative — ou une jurisprudence consolidée — pourra stabiliser la situation.
En tout état de cause, voici un bel exemple de langue de bois de l’administration fiscale.
Il est bon de rappeler que, dans la déclaration gouvernementale, il est précisé expressis verbis que le gouvernement fera en sorte que l’administration fiscale se conforme aux décisions judiciaires.
Cette circulaire démontre avec éclat qu’en la matière, le chemin à parcourir sera long.