Dans le tout récent Vade-mecum de la CTIF, y sont présentés 18 schémas-types de blanchiment de capitaux observés par la CTIF dans le cadre de ses travaux d’analyse stratégique. Ces schémas correspondent à un ensemble d’éléments partageant des caractéristiques communes et typiques permettant de former des typologies.
Chaque typologie repose sur un ensemble de cas issus de dossiers existants anonymisés et révélateurs de schémas de blanchiment particuliers. Les thématiques sélectionnées pour illustrer les différentes typologies renvoient à une technique de blanchiment utilisée ou à un secteur exposé aux risques de blanchiment.
Fiche 1 : Blanchiment par compensation.
La compensation est une technique qui permet aux criminels disposant d’espèces, provenant de leurs activités illicites génératrices de cash (trafic de stupéfiants, trafic illicite de biens et de marchandises…) de collaborer avec d’autres criminels actifs dans divers secteurs (construction, nettoyage, transport, …) en recherche de cash, notamment afin de rétribuer de la main d’œuvre non déclarée. Dans le cadre d’une entente liée à leur rencontre d’intérêts, les besoins des différents réseaux se complètent. La compensation repose ainsi sur une alliance entre groupes criminels aux besoins complémentaires.
L’objectif commun est d’éviter que les opérations les plus suspectes – les transactions en cash – ne transitent par le système bancaire officiel. Les espèces d’origine illicite sont remises de la main à la main aux dirigeants des sociétés en demande de cash. Ces derniers effectuent, à titre de compensation, des transferts bancaires, sous couvert de fausses factures, pour des montants équivalents en faveur de comptes détenus en Belgique (compensation de dimension nationale) ou à l’étranger (compensation de dimension internationale) au profit des criminels ayant initialement remis leur cash.
Les communications accompagnant ces transferts sont généralement vagues et renvoient à des achats de marchandises ou des paiements de factures. Les discordances entre les secteurs d’activités laissent supposer que les opérations financières reposent sur des prestations fictives.
Les transferts bénéficient in fine aux groupes criminels ayant initialement remis leur cash et leur permettent d’utiliser leurs fonds ainsi bancarisés et blanchis.
La CTIF observe l’implication croissante de sociétés intervenant comme pivot entre les différentes parties au système de compensation. Ces sociétés peuvent être totalement fictives ou avoir une activité économique réelle. Dans ce cas, elles sont fréquemment actives dans des secteurs générateurs de liquidités, dont une partie de l’activité se réalise en noir. Ces sociétés jouent un rôle d’intermédiaires en assurant, d’une part, la mise à disposition de cash aux criminels en demande de cash et, d’autre part, le transit de capitaux sous forme bancarisée aux criminels désirant écouler du cash.
Si la technique de la compensation permet d’éviter le système bancaire officiel pour la partie des opérations en cash, elle suppose néanmoins un passage pour la partie des transactions liées aux transferts (inter)nationaux sous-tendus par le système de fausse facturation. C’est lors de cette étape du blanchiment que les opérations suspectes sont le plus susceptible d’être détectées.
EXEMPLE CONCRET - Cas n° 1 : Blanchiment par compensation par l’intermédiaire d’une société active dans le commerce de détail
L’intervenant principal est la société A, une société belge active dans le commerce de détail, en compte auprès de plusieurs banques en Belgique.
Les comptes de la société A sont caractérisés par une explosion des opérations qui y sont enregistrées et fonctionnent de manière transitaire. Ils sont massivement crédités par des virements relatifs à des factures en provenance de diverses sociétés belges actives dans les secteurs de la construction, du nettoyage industriel ou du transport. Au débit des comptes, on constate des transferts à destination de sociétés étrangères actives dans des secteurs d’activités divers. Au vu de la divergence des secteurs d’activités, la réalité économique de ces opérations pose question.
Les différentes étapes qui composent le schéma transactionnel de blanchiment sont illustrées ci-après :
1.- Au crédit, les comptes sont, d’une part, alimentés par des transferts provenant de sociétés clientes, cadrant avec les activités commerciales officielles exercées par la société A.
2.- D’autre part, les comptes sont massivement crédités par des transferts d’ordre de sociétés belges présentant un profil similaire : elles sont actives dans les secteurs de la construction/nettoyage industriel/transport, ont été récemment constituées ou reprises,
connaissent de fréquents changements statutaires, sont en proie à des difficultés financières et sont gérées par des personnes physiques qui présentent les caractéristiques d’hommes de paille. En outre, plusieurs des sociétés ont leur siège social situé à des adresses connues pour être des adresses « boîte aux lettres ». Les communications justifiant ces opérations sont vagues (« paiement facture ») ou inexistantes, alors que le volume des transferts est très important. A cela s’ajoute le fait que les transferts bancaires s’opèrent entre des sociétés actives dans des secteurs d’activité totalement différents, posant dès lors la question de la justification économique des opérations.
3.- Au débit, les comptes font l’objet de transferts en faveur de sociétés réellement fournisseurs, cadrant avec les activités commerciales officielles exercées par la société A.
4.- D’autre part, les comptes sont débités par des transferts en faveur de comptes détenus à l’étranger. L’analyse de la CTIF révèle qu’il s’agit de comptes de passage, ouverts au nom de sociétés écrans appartenant à un réseau criminel actif dans le trafic de stupéfiants. En recourant au blanchiment par compensation, et par l’intermédiaire de la société A, le réseau actif dans le trafic de stupéfiants s’est défait de ses liquidités d’origine illicite en le remettant aux sociétés en demande de cash En contrepartie, le réseau a récupéré, à l’étranger, sous forme bancaire l’équivalent des espèces remises de la main à la main.
Enseignement à en tirer : Principales infractions sous-jacentes
criminalité organisée, fraude fiscale grave, fraude sociale, trafic illicite de biens et de marchandises, trafic de stupéfiants.
Extrait du premier Vade-mecum de la CTIF : Vademecum FR