Chaque rentrée budgétaire amène son lot de débats récurrents. Cette année encore, les sociétés de management se retrouvent dans le viseur politique. Leur existence est caricaturée, réduite à une « fuite fiscale » qu’il faudrait à tout prix enrayer. En tant qu’Ordre des Experts-Comptables et Comptables Brevetés de Belgique, nous ne pouvons pas laisser prospérer une telle vision, qui méconnaît profondément les réalités de terrain.
Passer en société n’est pas une échappatoire, mais une étape naturelle de la vie entrepreneuriale. Cela permet de distinguer le patrimoine privé du patrimoine professionnel, d’assurer une sécurité juridique, de structurer la croissance, de planifier la succession. C’est aussi accepter des obligations supplémentaires : gestion comptable rigoureuse, responsabilité accrue, transparence accrue. Autrement dit, la société de management n’est pas un privilège : c’est un cadre rationnel et responsable.
Il faut aussi rappeler que la fiscalité des indépendants n’a rien de comparable à celle des salariés. La Belgique compte plus de 90 % de micro-entreprises. Ces indépendants, souvent seuls à la barre, ont choisi un statut plus exigeant, moins protecteur, mais qui leur donne la liberté d’entreprendre. Faut-il rappeler qu’il est jugé parfaitement normal d’offrir aux multinationales un taux compétitif d’impôt des sociétés, mais que l’on s’offusquerait qu’un petit indépendant en bénéficie ? Voilà une contradiction qu’il convient de dénoncer.
Les critiques oublient aussi que ces structures ont déjà été encadrées : rémunération minimale portée à 50.000 € pour bénéficier du taux réduit, plafonnement des avantages en nature, durcissement des régimes de distribution (VVPR-bis, réserve de liquidation). Les indépendants ne sont pas « hors du champ » : ils contribuent déjà, et contribuent souvent davantage qu’on ne le croit.
Notre responsabilité, en tant qu’experts-comptables et conseillers fiscaux, est double. D’une part, nous devons continuer à accompagner nos clients indépendants dans leurs choix, en veillant à ce qu’ils demeurent conformes, durables et adaptés à leurs projets de vie. D’autre part, nous avons le devoir collectif de rappeler aux décideurs politiques que le tissu entrepreneurial belge repose avant tout sur ces indépendants. Les stigmatiser, c’est fragiliser la société toute entière.
Dans une Belgique qui doit relever d’immenses défis budgétaires et sociaux, il est légitime que chacun contribue. Mais cette contribution doit être équitable. L’Ordre veillera toujours à défendre les indépendants et les petites entreprises, non pas contre la société, mais pour une société solidaire et contemporaine. Une société où l’esprit d’initiative est soutenu, où le risque entrepris est reconnu, et où la fiscalité ne devient pas un instrument de découragement, mais de construction collective.