Taxation des plus-values sur actions: la méthode préconisée par le fisc dans l’avant-projet de loi est-elle cohérente ?
Temps de lecture: 11 min | 01 août 2025 à 04:15
Micheline CLAES
Administratrice de l'Ordre des Experts Comptables Et comptables OECCBB SR
Gérard Delvaux
Président émérite de l'Ordre des Experts-Comptables et Comptables Brevetés de Belgique, Société Royale
Valorisation sur base de l’EBITDA pour une PME non cotée – L’OECCBB s’interroge sur une des méthodes de valorisation !
Introduction
Dans l’avant-projet de loi visant la taxation des plus-values sur actions, comment déterminer la plus-value imposable ?
La plus-value est égale au prix reçu moins la valeur d’acquisition. Les frais ou taxes ne sont pas déductibles.
Peuvent être déduites : les moins-values subies au cours de la même période imposable dans la même catégorie (1, 2 ou 3) de plus-values imposables.
La méthode FIFO (First In, First Out) doit être utilisée lorsque des actifs de nature similaire ont été achetés à des moments différents.
Pour les options d’achat d’actions et les actions avec réduction de prix, la valeur d’acquisition est égale à la valeur des actions au moment de l’exercice de l’option ou au moment de l’acquisition des actions, ou à la valeur de l’option au moment de son exercice possible.
En cas d’émigration, le prix reçu est égal à la valeur au moment de l’émigration. En cas d’immigration, la valeur d’acquisition est égale à la valeur au moment de l’immigration.
Pour les actifs libellés en monnaie étrangère, le taux de change au moment de l’achat et de la réalisation doit être utilisé.
Exonération des plus-values historiques : si les actifs sont acquis avant le 1/1/2026, l’avant-projet de loi prévoit que la valeur d’acquisition est égale à la valeur au 31/12/2025, sauf si la valeur d’acquisition est plus élevée (jusqu’au 31 décembre 2030).
1.- La valeur au 31/12/2025
Actifs financiers cotés : cours de clôture de 2025.
Assurance-vie et capitalisation : la plus élevée de la réserve d’inventaire au 31/12/2025 ou de la somme des primes payées.
Actifs financiers non cotés : la plus élevée de :
La valeur appliquée entre parties indépendantes, à l’occasion de la constitution de la société ou de sa dernière augmentation de capital au cours de 2025 ;
La valeur résultant d’une formule d’évaluation dans un contrat ou une offre contractuelle d’option de vente effective au 1/1/2026 ;
En cas d’actions et d’instruments assimilés à des actions : fonds propres + 4 × EBITDA de la dernière clôture de l’exercice avant le 1/1/2026.
Alternative : le contribuable peut également appliquer une valeur déterminée par un réviseur d’entreprise (non commissaire) ou un expert-comptable indépendant certifié, au plus tard le 31/12/2026.
2. Revenons aux principes de base et à quelques rappels bien utiles sur "l'EBIDTA"
2.a- Principe de la méthode EBIDTA
La méthode de valorisation fondée sur l’EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization) consiste à appliquer un multiple à un EBITDA normatif, représentatif de la rentabilité d’exploitation récurrente de l’entreprise.
L’EBIT (Earnings Before Interest and Taxes) est assimilé au bénéfice ou à la perte opérationnelle, ne tenant pas compte de l’impact de la structure du capital ni des aspects fiscaux.
L’EBITDA en va plus loin : il élimine les éléments hors caisse, notamment les amortissements et les réductions de valeur.
Passage de l’EBIT à l’EBITDA :
Élément
Code
Catégorie
Bénéfice (perte) de l’exercice avant impôts
9903
C 4
- Produits des immobilisations financières
750
C 4
- Produits des actifs circulants
751
C 4
- Autres produits financiers
752/9
C 4
+ Charges des dettes
650
C 4
+ Autres charges financières
652/9
C 4
- Autres produits financiers non récurrents
769
C 6.12
+ Autres charges financières non récurrentes
668
C 6.12
= EBIT
+ Amortissements et réductions de valeur sur frais d’établissement, sur immobilisations incorporelles et corporelles
630
C 4
+ Réductions de valeur sur stocks, commandes en cours d’exécution et créances commerciales : dotations (reprises)
631/4
C 4
+ Amortissements et réductions de valeur exceptionnels
660
C 4
- Reprise d’amortissements et de réductions de valeur sur immobilisations incorporelles et corporelles
760
C 4
+ Réduction de valeur sur actifs circulants
651
C 4
+ Réductions de valeur sur immobilisations financières
661
C 6.12
- Reprise de réduction de valeur sur immobilisations financières
Rappelons également que dans un de ses très nombreux ouvrages Gérard Delvaux, reviseur honoraire, expert-comptable certifié et Président honoraire de l’Ordre a rappelé la nécessité d’ajouter une cote d’illiquidité pour les sociétés non cotées.
Lacote d’illiquidité(oudécote d’illiquidité) est uneréduction appliquée à la valeur d’une action non cotéepour tenir compte du fait qu’elle est moins facilement négociable qu’une action cotée sur un marché organisé. Cette décote est particulièrement pertinente en évaluation d’entreprises (private equity, opérations de transmission, fiscalité) lorsqu’on applique des méthodes de valorisation fondées sur les comparables boursiers ou l’actualisation de flux de trésorerie.
1.Définition et principe
Illiquidité: incapacité ou difficulté à vendre rapidement un titre sans perte significative de valeur.
Décote d’illiquidité: ajustement en pourcentage appliqué à la valeur d’une action cotée (ou valeur théorique) afin d’estimer la valeur d’une action équivalente maisnon cotée.
Études plus récentes: tendance à des décotes plus faibles en présence de pactes d’actionnaires ou mécanismes de liquidité.
Références bibliographiques relative à la décote
Silber, W. L. (1991) – Discounts on restricted stock: The impact of illiquidity on stock prices. Financial Analysts Journal, 47(4), 60–64.
Pratt, S. P. (2009)– Valuing a Business: The Analysis and Appraisal of Closely Held Companies. McGraw-Hill Education.
Longstaff, F. A. (1995)– How much can marketability affect security values? Journal of Finance, 50(5), 1767–1774.
Bajaj, M., Denis, D. J., Ferris, S. P., & Sarin, A. (2001)– Firm value and marketability discounts. Journal of Corporation Law, 27, 89.
Finnerty, J. D. (2012)–The impact of transfer restrictions on stock prices: A test of the illiquidity discount.Financial Management, 41(2), 241–270.
FMV Opinions, Inc. (2020)–Discounts for lack of marketability: Empirical data and analysis.
En résumé : La décote d’illiquidité reflète le coût économique de la difficulté à céder une action non cotée. Elle est généralement estimée empiriquement (20–35 %) ou via des modèles financiers (option-based), avec une ampleur variant selon la taille, le risque et la structure du titre.
2.c- Avantages de la méthode EBITDA
Simplicité et clarté
→ Méthode bien comprise par les praticiens et les investisseurs
Centrée sur la rentabilité opérationnelle → Exclut les effets de la structure financière et des choix fiscaux
Approche du marché → Se rapproche des pratiques de valorisation dans les fusions-acquisitions
Pertinente pour les secteurs à investissements capitalistiques stables → PME industrielles, services B2B récurrents, etc.
Utile pour mesurer la capacité à générer du cash opérationnel
2.d- Inconvénients et limites
Approche très dépendante du multiple choisi → Le choix du multiple est souventsubjectifet peut varier fortement selon les sources.Il fait l’objet d’un débat entre le vendeur et l’acheteur
Peu adaptée aux entreprises en forte croissance ou en retournement.On lui préférera la méthode du « Dicounted Cash Flow) → L’EBITDA historique n’est pas toujours représentatif du potentiel futur
Ignore les besoins d’investissement (Capex) → Deux entreprises avec le même EBITDA mais des Capex différents ne valent pas la même chose
Ne reflète pas la structure du BFR (stock+créances- fournisseurs-dettes fiscales,sociales et salariale : doit être positif) → Risque de surestimer la valeur si l’entreprise consomme beaucoup de trésorerie dans son cycle d’exploitation
Peut occulter des éléments non opérationnels importants → Par exemple, actifs non utilisés dans l’exploitation, contrats clés, litiges latents,immobilisés sous -estimés (amortissements surestimés)
2.e- Que retenir de la méthode EBIBTA?
La méthode basée sur l’EBITDA est particulièrement utilisée dans lecadre de valorisations à des fins de transmission ou de levée de fonds, mais elle doit êtrecroisée avec d’autres approches(patrimoniale, DCF, etc.) pour une PME non cotée, surtout si :
L’entreprise a une rentabilité instable,(faire une analyse pluri annuelle)
Elle est fortement capitalistique ou consomme beaucoup de BFR,
Ou si des facteurs non financiers (clientèle clé, dépendance à un dirigeant, etc.) influencent fortement la valeur.
3.- Dès lors, faut-il ajouter les fonds propres ?
Ajouter lesfonds propresà une valorisation basée sur l’EBITDAn’estpas une démarche correcte en principe, car cela revient àadditionner deux approches différentes.
3.a- Que représente la valorisation sur base de l’EBITDA ?
La valorisation par l’EBITDA, via un multiple, donne unevaleur d’entreprise (VE), c’est-à-dire la valeurde l’actif économique brut,avantprise en compte :
des dettes financières,(ne retient pas les intérêts)
etdonc indépendamment des fonds propres comptables.
On en déduit ensuite la valeur des actions (ou des fonds propres économiques) en retranchant ladette nette.
3.b- Que représentent les fonds propres comptables ?
Lesfonds propres comptablesfigurant au bilan représentent :
l’apport initial des associés (capital),
les réserves,
les résultats reportés ou bénéficiaires.
Mais ils reflètent unevaleur historiqueou comptable, qui ne correspondsouvent pas à la valeur économique actuelle.
3.c- Dans quels cas les fonds propres peuvent-ils être pris en compte ?
Il est pertinent deles examiner:
pourcontrôler la cohérencede la valeur issue des autres méthodes (ex : si la VE déduite de l’EBITDA donne une valeur des actions bien inférieure aux FP, il faut investiguer),
ou dans uneapproche patrimoniale(liquidation, sociétés immobilières, holding...).
Maisles ajouter à une valorisation par EBITDArevient àcompter deux foisla même chose ou àadditionner des éléments non comparables.
3.d- Pourquoi ne faut-ilpasles ajouter dans la méthode EBITDA ?
Raisons
Explication
Double comptage
L’EBITDA reflète déjà la rentabilité de l’actif financé par ces fonds propres
Mélange d’approches
EBITDA = rendement ; FP = comptable
Distorsion de la valeur
Réserves non distribuées, réévaluations, etc.
Non représentatif du marché
Les acheteurs se fondent sur les flux et les multiples
Les fonds propres peuvent être utilisés pour vérifier la cohérence des résultats, dans une approche patrimoniale ou comme élément de négociation (capital à reconstituer…).
4.- Enseignements à en tirer
Il n’est pas conseillé d’ajouter les fonds propres à une valorisation par l’EBITDA.
En revanche, ils peuvent :
Servir de repère ou de contrepoint à la méthode utilisée ;
Être mobilisés dans une approche patrimoniale parallèle ;
Être pris en compte dans la négociation (ex. : capital à reconstituer).
Mots clés
PMEActions non cotéesSociété non cotéePlus-values sur actionsContribution de solidarité sur les plus-values mobilièresImpôt des personnes physiquesévaluation d'actifsEBITDAExpertise comptableEBIDfonds propresCSA (Code des sociétés et des Associations)Droit des sociétésEBIDTA normatifilliquidité