• FR
  • NL
  • EN

Les réductions de valeur sur créances commerciales et les provisions pour risques et charges, sujets étroitement liés

Dans le cadre de l'hommage à Gérard Delvaux effectué lors du passage de flambeau en tant que Président de l'Ordre des Experts-comptables, mais surtout après une carrière remarquable, l'OECCBB a réalisé à son attention un liber Amicorum dont nous publierons chaque samedi, pendant les prochains mois, les différentes publications.


Il m’a semblé qu’il n’y avait pas meilleur moyen de rendre hommage à l’immense carrière de Monsieur Gérard Delvaux et à son inlassable engagement, pendant des décennies, en faveur des professionnels de l’expertise comptable, autrement qu’en abordant un sujet comptable qui a des implications sur le plan fiscal.

Car c’est dans ce bon ordre qu’il convient d’envisager les choses. Ce que Monsieur Delvaux s’est efforcé de rappeler autant de fois que nécessaire, c’est-à-dire journellement, et en toutes occasions, contre vents et marées : la comptabilité passe avant la fiscalité, n’en déplaise à ceux qui croient qu’il s’agit d’une branche du droit ‘supérieure’ aux autres. Cette position inconfortable du droit fiscal de passer après le ‘droit’ commun est contrebalancée par le fait qu’il peut toutefois y déroger.

Mais comment savoir si le droit fiscal déroge au droit comptable qui prime si on ne connaît pas d’abord la comptabilité ? Une évidence qui s’est progressivement diluée dans nos esprits privilégiant l’aspect fiscal des choses, qui vient pourtant en second, voire dernier lieu.

Et d’aucuns de s’inquiéter de la très mauvaise image que véhicule à ce propos l’ITAA depuis sa création le 30 septembre 2020, qui par son acronyme anglais (qui ne figure dans aucune loi et pour cause ce n’est pas une des trois langues officielles de la Belgique reconnues par la Constitution) fait passer les « tax advisors » avant les « accountants ».

Dans la vraie vie c’est tout l’inverse. Dommage, une belle occasion ratée !

Ainsi ai-je opté, pour ma modeste contribution à ce Liber Amicorum, pour une matière qu’il convient d’abord de maîtriser parfaitement sur le plan comptable, avant de s’intéresser à la question de savoir, si, par hasard, le droit fiscal serait moins exigeant (peu probable selon ce à quoi il nous a habitués) ou, au contraire, ajouterait des conditions comme autant de contraintes supplémentaires pour que ce qui est admis par le droit comptable le soit aussi sur le plan fiscal (ce qui est beaucoup plus probable) : j’ai pensé aux réduction de valeur, mais que l’on aborde le plus souvent avec les provisions pour risques et charges, les deux sujets étant étroitement liés.

Dans la doctrine et notre pratique quotidienne, déformée par l’approche fiscale des choses, quand on aborde la question des réductions de valeur, on envisage trois situations.

Tout d’abord celle des réductions de valeur sur créances (traditionnellement abordées en même temps que les provisions pour risques et charges car les règles qui s’y appliquent sont très semblables ; d’ailleurs regroupées en une ligne dans la déclaration à l’impôt des sociétés, vous voyez … on y est déjà revenus). Ensuite on passe aux réductions de valeur sur actifs (autres que les actions) ce qui conduit aux règles d’amortissements et, fiscalement, aux réserves occultes. Enfin, aux réductions de valeur sur actions, qui sont traitées fiscalement comme des dépenses non admises (DNA).

Tel quel le sujet serait bien trop vaste pour une contribution comme celle-ci ; aussi ai-je choisi de me limiter aux seules réductions de valeur sur créances et de faire le parallèle avec les provisions pour risques et charges quand cela ajoute à la compréhension du sujet.


Les prescriptions comptables

Je ne ferai injure à personne en rappelant les principes de base.

Monsieur Gérard Delvaux, qui a connu toutes les versions de la législation comptable et des comptes annuels des entreprises depuis la loi du 17 juillet 1975 relative à la comptabilité des entreprises s’était, comme beaucoup d’entre nous sans doute, très largement imprégné du Code des sociétés du 7 mai 1999 et de son arrêté d’exécution du 30 janvier 2001, dans lequel figur(ai)ent les règles relatives aux réductions de valeur et aux provisions pour risques et charges qui nous intéressent ici.

Et puis on sait qu’un ministre aspirant à la postérité révolutionna tout cela (trop vieux, trop français surtout) et que les meilleurs experts qu’il désigna entreprirent de moderniser l’outil pour aboutir au Code des Sociétés et des Associations (CSA) du 23 mars 2019 et à son arrêté d’exécution (A.R. du CSA) du 29 avril 2019.

Le chantier dura plusieurs années et un projet de loi fut (enfin) déposé le 4 juin 2018 pour être adopté le 28 février 2019. Le CSA couvre 292 pages du Moniteur belge du 4 avril 2019 et l’A.R. du CSA remplit 144 pages du Moniteur belge du 30 avril 2019. Au total 436 pages, à diviser par deux, car ces deux textes sont évidemment bilingues. De quoi nous occuper pendant un moment tout de même.

Le ministre promoteur de ce nouveau Code nous a garanti que toutes ces années de réflexion avaient été nécessaires pour arriver à un produit fini, de qualité.

On peut considérer qu’il s’agit d’un serment d’ivrogne dans la mesure où, à fin d’année 2024, ce (nouveau) Code a déjà été modifié par 21 lois différentes. En 62 mois, soit en moyenne tous les trimestres. Il est extrêmement rare de rencontrer une matière dans laquelle le législateur nous laisse longtemps tranquilles … et donc le temps de comprendre exactement ce qu’il veut, et il n’est pas dérogé à la règle en l’occurrence.

En fait, la quiétude n’a jamais été de mise, même en cette matière, que l’on pensait pourtant plus stable quand même que la fiscalité. À ce jour, le Moniteur belge présente 85 versions archivées du Code des sociétés et 65 arrêtés d’exécution.

Ces changements incessants nous rappellent que le droit est vivant et nécessite de ses praticiens de régulières mises à nouveau, rendant sa pratique d’autant plus difficile. Et balayant une fois pour toutes, on l’espère, cette idée, fausse mais tenace dans certains esprits omniscients, que « nul n’est censé ignorer la loi ».

Mais tous ces changements sont-ils importants pour notre sujet, les réductions de valeur sur créances et les provisions pour risques et charges ? Qu’est-ce qui a changé d’un Code et d’un arrêté à l’autre ?

En fait, le Code lui-même, que ce soit le Code des sociétés jusqu’il y a peu, ou le Code des sociétés et des associations depuis maintenant cinq ans, n’en parle pas. C’est dans l’arrêté royal qui les exécute que l’on en trouve les principes.

Procédons à une comparaison des textes utiles à notre propos (compris dans les règles d’évaluation).

Quant aux réductions de valeur

A.R. du CSA

A.R. du C.Soc.

Article 3:23, alinéas 2 et 3

Par « réductions de valeur » on entend les abattements apportés au prix d’acquisition des éléments de l’actif autres que ceux visés à l’alinéa précédent, et destinés à tenir compte de la dépréciation, définitive ou non, de ces derniers à la date de clôture de l’exercice.

Les (amortissements et les) réductions de valeur cumulés sont déduits des postes de l’actif auxquels ils sont afférents.

Article 45, alinéas 2 et 3

Par « réductions de valeur » on entend les abattements apportés au prix d’acquisition des éléments de l’actif autres que ceux visés à l’alinéa précédent, et destinés à tenir compte de la dépréciation, définitive ou non, de ces derniers à la date de clôture de l’exercice.

Les (amortissements et les) réductions de valeur cumulés sont déduits des postes de l’actif auxquels ils sont afférents.

Article 3:24

Les (amortissements et les) réductions de valeur doivent répondre aux critères de prudence, de sincérité et de bonne foi.

Article 46

Les (amortissements et les) réductions de valeur doivent répondre aux critères de prudence, de sincérité et de bonne foi.

Article 3:25

Les (amortissements et les) réductions de valeur sont spécifiques aux éléments de l’actif pour lesquels ils ont été constitués ou actés. Les éléments de l’actif dont les caractéristiques techniques ou juridiques sont entièrement identiques peuvent toutefois faire globalement l’objet (d’amortissements ou) de réductions de valeur.

Article 47

Les (amortissements et les) réductions de valeur sont spécifiques aux éléments de l’actif pour lesquels ils ont été constitués ou actés. Les éléments de l’actif dont les caractéristiques techniques ou juridiques sont entièrement identiques peuvent toutefois faire globalement l’objet (d’amortissements ou) de réductions de valeur.

Article 3:26

Les (amortissements et les) réductions de valeur doivent être constitués systématiquement sur base des méthodes arrêtées par la société, l’ASBL, l’AISBL ou la fondation conformément à l’article 3 :6, § 1er. Ils ne peuvent dépendre du résultat de l’exercice.

Article 48

Les (amortissements et les) réductions de valeur doivent être constitués systématiquement sur base des méthodes arrêtées par la société conformément à l’article 28, § 1er. Ils ne peuvent dépendre du résultat de l’exercice.

Article 3:27

Les réductions de valeur ne peuvent être maintenues dans la mesure où elles excèdent en fin d’exercice une appréciation actuelle, selon les critères prévus à l’article 3 :24, des dépréciations en considération desquelles elles ont été constituées.

Article 49

Les réductions de valeur ne peuvent être maintenues dans la mesure où elles excèdent en fin d’exercice une appréciation actuelle, selon les critères prévus à l’article 46, des dépréciations en considération desquelles elles ont été constituées.

Article 3:46

Les créances à plus d’un an et à un an au plus font l’objet de réductions de valeur si leur remboursement à l’échéance est en tout ou en partie incertain ou compromis. Elles peuvent également faire l’objet de réductions de valeur lorsque leur valeur de réalisation à la date de clôture de l’exercice est inférieure à leur valeur comptable déterminée conformément à l’article 3:45.

Article 68

Les créances à plus d’un an et à un an au plus font l’objet de réductions de valeur si leur remboursement à l’échéance est en tout ou en partie incertain ou compromis. Elles peuvent également faire l’objet de réductions de valeur lorsque leur valeur de réalisation à la date de clôture de l’exercice est inférieure à leur valeur comptable déterminée conformément à l’article 67.

Ce dernier article est examiné en fin de contribution.

Quant aux provisions (que nous reprenons donc également pour éclairer le propos car la philosophie est fort similaire)

A.R. du CSA

A.R. du C.Soc.

Article 3:28

Les provisions pour risques et charges ont pour objet de couvrir des pertes ou charges nettement circonscrites quant à leur nature, mais qui, à la date de clôture de l’exercice, sont probables ou certaines, mais indéterminées quant à leur montant.

L’alinéa 3 de cet article ajoute que ces provisions pour risques et charges ne peuvent avoir pour objet de corriger la valeur d’éléments portés à l’actif.

Article 50

Les provisions pour risques et charges ont pour objet de couvrir des pertes ou charges nettement circonscrites quant à leur nature mais qui, à la date de clôture de l’exercice, sont, ou probables, ou certaines mais indéterminées quant à leur montant.

L’alinéa 3 de cet article ajoute que ces provisions ne peuvent avoir pour effet de corriger la valeur d’éléments portés à l’actif.

Article 3:11

Il doit être tenu compte de tous les risques prévisibles, des pertes éventuelles et des dépréciations qui ont pris naissance au cours de l’exercice auquel les comptes annuels se rapportent ou au cours d’exercices antérieurs, même si ces risques, pertes ou dépréciations ne sont connus qu’entre la date de clôture des comptes annuels et la date à laquelle ils sont arrêtés par l’organe d’administration de la société, de l’ASBL, de l’AISBL ou de la fondation.

Article 33, alinéa 1er

Les entreprises doivent tenir compte de tous les risques prévisibles, des pertes éventuelles et de dépréciations qui ont pris naissance au cours de l’exercice auquel se rapportent les comptes annuels ou au cours d’exercices antérieurs, même si ces risques, pertes ou dépréciations ne sont connus qu’entre la date de clôture des comptes annuels et la date à laquelle ils sont arrêtés par l’organe d’administration de l’entreprise.

Les conséquences de ces prescriptions du droit comptable et des avis de la CNC sont que :

  • les pertes ou charges fixées définitivement quant à leur montant doivent être enregistrées au passif du bilan parmi les dettes et non pas comme provision ;
  • la comptabilisation sera effectuée au compte « factures à recevoir » pour les charges dont le montant peut être déterminé avec précision et qui couvrent des livraisons reçues ou des prestations effectuées au cours de l’exercice ;
  • la constitution de provisions pour risques généraux n’est, en principe, pas autorisée (exception par exemple pour les « fonds internes de sécurité ou provision risques pays » dans les établissements bancaires). Les provisions pour risques généraux ont le caractère de bénéfices réservés ;
  • les provisions pour risques et charges doivent être constituées systématiquement, sans pouvoir dépendre du résultat de l’exercice ;
  • les provisions ne peuvent être constituées pour couvrir des dépenses liées à des investissements ou une perte de revenus future ;
  • en cas de risque dont l’estimation est inévitablement aléatoire, l’entreprise est dispensée de constituer une provision et n’est tenue que de faire mention du risque dans l’annexe (avis CNC 107/7).

La CNC précise dans cet avis que : « en matière de contentieux, il arrive que la probabilité d’une perte soit extrêmement réduite (cf. l’hypothèse d’une action téméraire ou vexatoire). Dans de tels cas, ni la constitution d’une provision, ni même une mention dans l’annexe ne sont requises. Il se peut aussi que les données disponibles soient contradictoires ou insuffisantes pour estimer tant la probabilité de la perte que son montant ; en une telle hypothèse, une mention appropriée du contentieux dans l’annexe suffit ».

Les principes comptables réglant les provisions sont donc les suivants :

  • principe de prudence, sincérité et bonne foi ;
  • principe de constitution systématique ;
  • principe d’individualisation ;
  • principe de correspondance des charges et des produits (« matching principle » si on aime parler ‘chic’) ;
  • suivi des provisions.

Mais le constat est vite fait : aucun changement n’est intervenu dans ces matières lors du passage de l’A.R. du C.Soc. à l’A.R. du CSA. Donc tout ce que l’on savait reste bon ! Assez rare pour être souligné.

La question qui se pose alors aux fiscalistes, ayant parfaitement maîtrisé ce qui précède, est de savoir si, par hasard, la fiscalité a fait sienne ces principes [auquel cas il n’y aurait même pas nécessité d’en parler en vertu du principe de la primauté du droit comptable, même si l’article 2, § 1er, 9°, du C.I.R. 1992 se limite à évoquer que (seules) les expressions « immobilisations incorporelles, corporelles ou financières », « frais d’établissement » et « stocks et commandes en cours d’exécution » ont la signification qui leur est attribuée par la législation relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises] ou si la fiscalité y avait ajouté des ‘trucs’.

Les prescriptions fiscales

À part l’article 18, alinéa 5, du C.I.R. 1992 qui dit qu’il ne faudra pas en tenir compte lors du calcul du prorata en cas de remboursement de capital, il n’y a que l’article 48 du C.I.R. 1992 qui aborde la question et englobe les deux sujets (réductions de valeur et provisions pour risques et charges).

Il nous apprend que les réductions de valeur et les provisions pour risques et charges qui sont comptabilisées par les entreprises en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que les événements en cours rendent probables sont exonérées dans les limites et aux conditions déterminées par le Roi.

À ce stade, on n’en sait pas beaucoup plus ; il faudra donc se référer à l’A.R. du C.I.R. 1992, qui regroupe toutes les volontés de notre bon souverain (comme son nom l’indique).

Relevons que l’article 48, alinéa 2, du C.I.R. 1992 (tel que modifié en dernier lieu par la loi du 28 décembre 2023, M.B., 29 décembre 2023, applicable à partir du 1er septembre 2023), stipule quant à lui, que sont exonérées les réductions de valeur et provisions sur créances sur les cocontractants à la suite de la constatation d’un accord amiable en vertu des articles XX.38 ou XX.65, à l’exception du § 3, alinéa 2, ou XX.83/30, du Code de droit économique ou à la suite de l’homologation d’un plan de réorganisation en vertu des articles XX.79 ou XX.83/15 ou XX.83/35 du même Code, et ce, durant les périodes imposables jusqu’à l’exécution intégrale de l’accord amiable ou du plan, ou jusqu’à son retrait.

Nous n’aborderons pas ici cette situation spécifique des ‘réorganisations judiciaires’.

On mentionnera que l’article 48 du C.I.R. 1992 trouve son origine dans l’article 23, § 1er, du C.I.R. (ancien) qui disposait que « ne sont pas considérés comme des bénéfices : 1° les provisions constituées dans les limites, et aux conditions fixées par le Roi, en vue de faire face à des pertes ou à des charges nettement précisées et que les événements en cours rendent probables ».

Le texte actuel de l’article 48 du C.I.R. 1992 est donc issu du texte de la disposition antérieure après avoir seulement subi une adaptation terminologique en raison du droit comptable avec l’introduction des termes « réductions de valeur » et « provision pour risques et charges ».

Cela étant, les articles de l’A.R. du C.I.R. 1992 auxquels il convient de se référer sont les articles 22 à 27, qui forment la Section 9, intitulée « Limites et conditions d’exonération fiscale des réductions de valeur et des provisions pour risques et charges ». On sent que cela va saigner ! Et sont à nouveau regroupées les provisions pour risques et charges et les réductions de valeur.

Il s’agit de dispositions dont la constance force l’admiration, quand tout est sans cesse modifié par ailleurs.

En effet, ces six dispositions réglementaires n’ont, pour la plupart, plus été modifiées depuis l’A.R. du 20 décembre 1995 (M.B., 28 décembre 1995), en vigueur à partir de l’exercice de d’imposition 1996. Seul l’article 22, § 1er, 1°, de l’A.R. du C.I.R. 1992, l’a encore été ensuite, avec même entrée en vigueur, pour une question de terminologie.

Comme en matière comptable, il est prévu d’exclure des bénéfices de la période imposable, les réductions de valeur comptabilisées à l’expiration de cette période, mais aux conditions (supplémentaires) suivantes :

  1. les pertes auxquelles ces réductions de valeur sont destinées à faire face doivent être, par nature, admissibles au titre de pertes professionnelles et se rapporter uniquement à des créances non représentées par des obligations ou autres titres analogues, nominatifs, au porteur ou dématérialisés (c’est donc très limitatif, les dettes souveraines par exemple ne sont pas concernées a priori) ;
  2. ces pertes doivent être nettement précisées et leur probabilité doit résulter, pour chaque créance, non d’un simple risque d’ordre général, mais bien de circonstances particulières survenues au cours de la période imposable et subsistant à l’expiration de celle-ci (l’individualisation est en principe poussée à outrance) ;
  3. les réductions de valeur doivent être comptabilisées à la clôture des écritures de la période imposable et leur montant doit apparaître à un ou plusieurs comptes distincts (on ne profite pas de l’occasion pour « rajeunir du vieux brol ») ;
  4. le montant total des réductions de valeur immunisées subsistant à l’expiration d’une période imposable quelconque doit être justifié et détaillé, par objet, dans un relevé dont le modèle est déterminé par le ministre des Finances ou son délégué ; ce relevé doit être remis dans le délai prescrit pour le dépôt de la déclaration aux impôts sur les revenus de la période imposable et être annexé à cette déclaration (le célèbre relevé 204.3 ou le sacro-saint amour de l’administration pour les formulaires et relevés ; il est vrai qu’en matière de charges de la preuve, s’agissant en fin de compte d’une exonération, même provisoire ou anticipée, le respect des conditions incombe au contribuable).
Mais la logique fiscale est que les provisions pour risques et charges et les réductions de valeur comptabilisées doivent d’abord être considérées comme des bénéfices imposables en vertu de l’article 25, 5°, du C.I.R. 1992. Ces ‘curiosités comptables’ (‘curiosités’ pour le fisc car celui-ci veut toujours tout taxer et voilà qu’on le réfrène dans ses ardeurs) ne seront admises en déduction du bénéfice imposable que si les prescriptions de l’article 48 du C.I.R. 1992 et à travers lui les quatre conditions énumérées ci-avant, notamment, sont respectées.

On peut présenter les choses comme étant que le principe de la primauté du droit comptable sur le droit fiscal ne se pose pas en cette matière, en raison de l’existence d’un texte spécifique du C.I.R. 1992.

Pour comprendre cette rigueur, il faut rappeler que cette disposition a été introduite dans la législation fiscale à un moment où les comptes annuels ne faisaient l’objet d’aucun droit formel et où les méthodes comptable et d’évaluation n’étaient réglées par aucun principe ou norme acceptés.

Il s’agissait donc d’exiger que la provision ou la réduction de valeur soit comptabilisée à la clôture de la période imposable et que son montant apparaisse à un ou plusieurs comptes distincts, et pas ‘noyé dans la masse’, pour que le fisc puisse bien l’identifier et partant le contrôler.

À ce propos, la Cour de cassation a cependant jugé que qu’une entreprise n’est pas obligée de tenir une comptabilité en partie double (et, pour cette raison, ne peut respecter la condition que les provisions pour risques et charges soient comptabilisées à la clôture des écritures de la période imposable et que leur montant apparaisse à un ou plusieurs comptes distincts) pour bénéficier de l’exonération instaurée en faveur des réductions de valeur et des provisions pour risques et charges probables. Le contribuable concerné peut se borner à introduire un relevé 204.3 (Cass., 17 décembre 2015, rôle n° : F.14.0073.N).

Il convenait donc d’exiger également, s’agissant d’une dérogation à la règle générale de taxation, pour que les provisions et les réductions de valeur soient exonérées, qu’elles fassent face à des charges nettement précisées et que les événements en cours rendent probables.

Cette formulation visait à exclure les simples prévisions et évaluations approximatives. Fiscalement, l’exonération ne peut pas, non plus, être justifiée par des événements survenus après la date de clôture du bilan.

Les articles suivants (art. 24 et 25 de l’A.R. du C.I.R. 1992) se concentrent sur les provisions.

À leur propos, il est toutefois admis de constituer des provisions pour des charges qui sont couvertes par anticipation par des indemnisations obtenues au cours de l’exercice comptable, du chef de sinistres, expropriations, réquisitions en propriété ou autres événements analogues.

L’article 25 de l’A.R. du C.I.R. 1992 prévoit toujours, outre ces situations, qu’à certaines conditions particulières, l’entreprise puisse prétendre à l’exonération de deux types de provisions spécifiques : il s’agit des provisions qui se rapportent, dans une mesure proportionnelle à la durée de la période imposable, à des grosses réparations d’immeubles, matériel et outillages, à l’exclusion de tout renouvellement, effectuées périodiquement à des intervalles réguliers n’excédant pas 10 ans.

On sait toutefois qu’au sujet des provisions pour grosses réparations et entretiens, le ministre a exprimé l’avis qu’elles ne remplissent pas les nouvelles conditions d’exonération issues de la loi du 25 décembre 20217 portant réforme de l’impôt des sociétés (M.B., 29 décembre 2017), de telles provisions dépendant exclusivement de la volonté unilatérale de la société d’exposer de tels frais (question parlementaire n° 2153 de M. Piedboeuf du 21 mars 2018, Q&R, Ch. Repr., sess. 2017-2018, n° 54 157, p. 350).

En tout état de cause, l’exonération continuera à s’appliquer pour des provisions visant à faire face à des obligations contractuelles (comme des obligations liées à des garanties) ou à des obligations légales et réglementaires (comme des allocations de licenciement après la notification du licenciement ou du régime de chômage avec complément d’entreprise (RCC), des obligations environnementales, etc.).

Cela étant, sont également considérées comme grevant normalement les résultats de la période imposable, dans la mesure où elles se rapportent proportionnellement à celle-ci, les charges inhérentes au démantèlement des centrales nucléaires et à la décontamination de leurs sites d’implantation.

En la matière, la règle générale d’exonération est que les provisions pour risques et charges seront exonérées, sans limite, lorsqu’elles sont destinées à faire face à des charges :

  • qui, si elles étaient effectivement supportées, constitueraient des frais professionnels admissibles. Plus exactement, il doit s’agir de charges qui, par leur nature, sont déductibles au titre de frais ;
  • et qui grèvent normalement les résultats de la période imposable au cours de laquelle les provisions sont constituées.

Sont uniquement visées, comme en droit comptable, les provisions pour faire face à des charges professionnelles à l’exclusion de dépenses qui pourraient être considérées comme des investissements (sur la distinction entre charge et investissement à propos de frais d’aménagement dans un immeuble, voyez Bruxelles, 30 mars 2006, rôle n° : 1997/FR/58, Cour. Fisc., 2006/509).

Lorsque l’exonération d’une provision (ou d’une réduction de valeur) est acquise pour un exercice comptable et que cette provision (cette réduction de valeur) subsiste lors d’un exercice ultérieur, la société doit justifier que les événements concernés la justifiant subsistent toujours à la clôture de cet exercice ultérieur.

Car, d’une part, les charges auxquelles se rapporte une provision constituée conformément à l’article 24 de l’A.R. du C.I.R. 1992 doivent être imputées sur cette provision au moment où elles sont effectivement supportées. On ne maintient ni une provision, ni une réduction de valeur, qui ne se justifierait plus. Et d’autre part, l’exonération de chacune des réductions de valeur ou des provisions visées aux articles 22 à 26 de l’A.R. du C.I.R. 1992 n’est maintenue qu’aussi longtemps que le contribuable justifie de la probabilité de la perte ou de la charge à laquelle cette réduction de valeur ou provision correspond ; à défaut de semblable justification à l’expiration d’une période imposable quelconque, la réduction de valeur ou la provision est considérée comme un bénéfice de cette période imposable.

Qu’il nous soit permis d’insister sur la notion de « dépenses de la période ». L’article 25 de l’A.R. du C.I.R. 1992 commence par dire que « sont considérées comme grevant normalement les résultats de la période imposable, les charges qui résultent de l’activité professionnelle exercée ou d’événements survenus pendant cette période (…) ».

Cette notion peut être abordée par le biais de la réponse donnée à une (vieille) question parlementaire du papa De Croo, à l’époque sénateur (question n° 511 du 6 octobre 1993, reprise dans le Bulletin des Contributions n° 736, p. 638).

Pour compléter et préciser une jurisprudence et une doctrine relativement peu importantes en cette matière, j’ai l’honneur de soumettre le cas de figure suivant, dit notre intervenant.

La déduction de la provision envisagée est soumise aux conditions suivantes :

  • Les charges doivent être déductibles à titre de charges professionnelles ;
  • Les montants de la provision doivent faire l’objet d’une évaluation et d’une motivation suffisamment concrètes ;
  • Les charges doivent être censées grever normalement les résultats de la période concernée.

Comme on le verra dans les lignes qui suivent, mes questions portent surtout sur la troisième de ces conditions.

S’agissant de la première condition, je limiterai mon interrogation à l’impôt de sociétés, puisque tout ce que fait une société et tout ce qui lui arrive a un caractère professionnel.

S’agissant de la seconde condition, je prendrai comme hypothèse que les montants sont motivés (définis, justifiés) et évalués (estimation) de manière suffisamment concrète, par exemple sur la base d’offres, d’avis, d’expertises, etc., établis par des spécialistes en la matière.

En ce qui concerne la troisième condition, l’article 25 de l’A.R. du C.I.R. 1992 dispose que sont considérées comme grevant normalement les résultats de la période imposable, les charges qui résultent de l’activité professionnelle exercée ou d’événements survenus pendant cette période.

Ce double critère indique que l’on prend en considération aussi bien les actes posés par le contribuable (l’activité professionnelle exercée) que les événements (survenus) se produisant sans l’intervention active de celui-ci. Le Com.I.R. donne un exemple concret de provision constituée à la suite de la survenance d’un fait (pas d’intervention active du contribuable) consistant en dégâts occasionnés à du matériel.

Compte tenu de tout cela, on peut, selon moi, donner les exemples types suivants, impliquant ou non une intervention active du contribuable :

On achète (fait exercé) une machine (bien mobilier) et les réparations ou adaptations nécessaires doivent être effectuées. Pour les dépenses décidées par la société, mais à réaliser au cours d’une période ultérieure, une provision doit être constituée dans le courant de l’année ou le fait (l’acquisition) se produit ;

Un bâtiment (bien immobilier) est endommagé lors d’une tempête (fait survenu). Pour les travaux de réparation qui sont décidés, mais qui seront effectués au cours d’une période ultérieure, une provision doit être constituée l’année au cours de laquelle (la tempête) se produit ;

On fait l’acquisition (fait exercé) d’un bâtiment (bien immobilier) et les réparations et adaptations nécessaires doivent être effectuées. Pour les dépenses qui sont décidées par la société, mais qui seront réalisées au cours d’une période ultérieure, une provision doit être constituée l’année au cours de laquelle le fait (l’acquisition) se produit.

Selon moi, dans les trois exemples types envisagés, et compte tenu des conditions décrites ci-dessus, la provision constituée réunit les conditions de déductibilité.

Notre sénateur demande évidemment à l’honorable ministre de bien vouloir confirmer son point de vue.

Voici la réponse donnée par le ministre des Finances, Philippe Maystadt, qui restera dans l’histoire comme le père de la rage taxatoire (sous son ‘règne’, le taux marginal à l’impôt des personnes physiques combiné aux lois sociales conduisait dans certains cas à un prélèvement fiscal et parafiscal supérieur à 100 % du revenu !).

Le ministre rappelle tout d’abord ce que l’on savait, à savoir que l’article 25, alinéa 1er, de l’A.R. du C.I.R. 1992 stipule que, pour l’exclusion des bénéfices de provisions pour risques et charges, sont considérées comme grevant normalement les résultats de la période imposable, les charges qui résultent de l’activité professionnelle exercée ou d’événements survenus pendant cette période, ainsi que celles qui sont couvertes d’avance par des indemnités obtenues au cours de la même période du chef de sinistres, expropriations, réquisitions en propriété ou autres événements analogues ou celles qui se rapportent, dans une mesure proportionnelle à la durée de ladite période, à des grosses réparations d’immeubles, matériel et outillages, à l’exclusion de tout renouvellement, effectuées périodiquement à des intervalles réguliers n’excédant pas 10 ans. Pour en conclure que cette condition n’est pas remplie dans les premier et troisième exemples.

À condition qu’il ne s’agisse pas d’un renouvellement, cette condition est remplie dans le deuxième exemple :

  • si les charges sont couvertes d’avance par une indemnité obtenue au cours de la même période ;
  • ou si, pour des raisons indépendantes de la volonté de l’(des) exploitant(s), la réparation n’est effectuée qu’au cours d’un exercice comptable ultérieur.

Cette réponse permet de prendre la mesure de la position administrative stricte.

Certains fiscalistes (dont J. MALHERBE, L’impôt des sociétés, Larcier, 1997, p. 55) estiment qu’il est ainsi ajouté une condition supplémentaire à l’article 25 de l’A.R. du C.I.R. 1992 en exigeant, à défaut de paiement d’une indemnité pendant la période imposable, que les travaux aient été différés à une période ultérieure pour des raisons indépendantes de la volonté de la société.

Ils estiment que si un devis a été demandé ou un bon de commande a été signé pendant la période imposable, pour effectuer des réparations (qui ne constituent pas des investissements), la provision constituée à cet effet doit être réputée comme constituée en vue de faire face à des charges probables et non hypothétiques, qui résultent d’événements ou d’actes survenus pendant la période imposable.

Une partie de la jurisprudence est du même avis (e.a. Anvers, 11 septembre 1995,Cour. Fisc. 95/499, F.J.F., No. 95/207 et Mons, 7 janvier 2000, F.J.F., No. 2000/47).

Ces juges estiment, à juste titre selon nous, que la loi fiscale permet aux contribuables d’anticiper les dépenses qu’ils feront dans l’avenir en constituant des provisions. Selon cette optique, pour l’exonération fiscale, la loi pose comme seule condition que les dépenses futures soient nettement précisées et rendues probables par un ou des événements ayant lieu pendant la période imposable. Cet événement peut consister en une décision des organes de gestion de la société.


Un mot aussi d’une formalité fiscale (supplémentaire) substantielle.

On a vu que le contribuable doit introduire un relevé 204.3, dénommé (relevé des) « Réductions de valeur pour pertes probables et provisions pour risques et charges ».

Ce relevé doit être remis dans le délai prescrit pour le dépôt de la déclaration aux impôts sur les revenus de la période imposable et être annexé à cette déclaration (art. 24, 2° juncto art. 22, 4°, de l’A.R. du C.I.R. 1992).

Jusqu’à l’exercice d’imposition 2003, ce formulaire était mentionné, dans la déclaration, comme une annexe à joindre à celle-ci. Cette mention a ensuite disparu, retrait justifié par le fait que le délai dans lequel le relevé 204.3 doit être remis n’est pas fixé réglementairement, et que ce formulaire peut donc être introduit à n’importe quel stade de la procédure.

La jurisprudence a déjà décidé que l’absence d’un relevé 204.3 dans une déclaration ne peut pas justifier le refus d’exonération de la provision, le délai prévu dans la loi n’ayant pas été prescrit à peine de nullité (Civ. Bruges, 9 mai 2006 et Gand, 10 mai 2015).

Cependant, lorsqu’aucun des documents communiqués par le contribuable ne permet à l’administration d’obtenir l’ensemble des informations requises par le formulaire administratif n° 204.3, la provision constituée ne peut bénéficier d’une exonération (Mons, 8 juin 2012, rôle n° : 2010/RG/1099).

Autant ne pas jouer avec le feu et prendre le risque d’énerver la bête, d’autant que depuis quelques années maintenant, le relevé 204.3 est cité dans le dernier cadre de la déclaration à l’impôt des sociétés (Relevés et documents divers) et que la formule de déclaration fait l’objet d’un arrêté royal, donc de dispositions réglementaires (et pas d’une exigence purement administrative non basée sur un texte de loi ou un règlement).

On voit que la connaissance de la comptabilité constitue un préalable indispensable et qu’ensuite nous devons nous montrer extrêmement attentifs à tout ce que la fiscalité vient ajouter comme couche(s) sur la matière.

Ainsi en est-il encore du principe de l’annualité de l’impôt.

La jurisprudence a confirmé que l’article 361 du C.I.R. 1992 (taxation l’année de la « découverte ») constitue une exception au principe de l’annualité de l’impôt, mais que cet article ne vise que les réserves occultes.

Aussi, en présence d’une provision pour risques et charges constituée au cours d’années antérieures à celle contrôlée, provision comptabilisée correctement et sous la bonne dénomination mais, dont la déduction doit être refusée en raison de la méconnaissance de l’article 26 de l’A.R. du C.I.R. 1992, l’administration ne peut, sous peine de violer le principe d’annualité de l’impôt, incorporer dans la base imposable de l’exercice contrôlé, la somme cumulée des provisions constituées au cours des années antérieures et non encore utilisées (Civ. Bruxelles, 17 février 2005, F.J.F., No. 2005/232).

Cette analyse a été confirmée par la Cour d’appel de Bruxelles.

Le seul fait, pour un contribuable, de déduire chaque année des dotations et reprises de provisions comptabilisées au titre de provision visée - comme l’admet l’administration - par l’article 25, 5°, du C.I.R. 1992, alors que, selon cette dernière, ces sommes n’étaient pas déductibles, car non destinées à faire face à des pertes ou charges nettement précisées que les événements en cours rendent probables - au sens de l’article 48 du C.I.R. 1992 - ne permet pas à l’administration de considérer que ces sommes constituent dès lors des réserves occultes et qu’il y a surestimation d’éléments du passif au sens des articles 24, alinéa 1er, 4° et 361 du C.I.R. 1992.

En d’autres mots, le refus - lors de l’examen de la comptabilité d’une période imposable déterminée - d’exonérer sur la base de l’article 48 du C.I.R. 1992 une provision visée par l’article 25,5°, du même Code, résultant d’écritures comptables se rapportant à des périodes imposables antérieures, ne permet pas à l’agent taxateur de considérer les dotations antérieures à cette provision comme des bénéfices de cette période imposable.

Il ressort de ce qui précède que l’administration ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce qu’elle est en droit de bénéficier en l’espèce de la règle dérogatoire au principe de l’annualité de l’impôt, consacrée de façon limitative par l’article 361 du C.I.R. 1992 (Bruxelles, 29 juin 2007, rôle nº : 2004/AR/571, R.G.C.F., 2007, n° 6, p. 436).

Dans une autre espèce, la Cour d’appel de Bruxelles a poursuivi sur la même voie, renvoyant à nouveau le fisc à ses chères études.

L’administration ne démontre pas l’existence d’une surestimation d’un élément du passif résultant d’écritures comptables se rapportant à des périodes imposables antérieures qui constituerait une réserve occulte, dès lors qu’il est acquis que la provision litigieuse était correctement comptabilisée et sous la bonne dénomination et a été admise lors des contrôles fiscaux réguliers, dont les références sont données par la société (Bruxelles, 16 mai 2012, rôle n° : 2006/AR/47).

Dans cette affaire, la Cour, après avoir confirmé que la provision pour risques et charges ne respectait pas les conditions d’exonération de l’article 48 du C.I.R. 1992, a décidé qu’il n’y a pas lieu de taxer l’intégralité de la provision cumulée au bilan mais seulement à concurrence de l’accroissement de la provision au cours de l’exercice d’imposition en litige.

Selon Y. DEWAEL, cette analyse de la Cour d’appel de Bruxelles sur l’impossibilité d’imposer l’ensemble de la provision constituée est discutable.

La Cour d’appel de Liège notamment ne partage pas cette analyse. Pour elle, c’est contrairement au texte de la loi rédigé en termes généraux et à tort que l’appelante prétend limiter le champ d’application de l’article 361 du C.I.R. 1992 à des réserves occultes qui n’apparaissent pas au bilan ou qui étant comptabilisées le sont dans une autre rubrique que celles des réserves ou provisions (Liège, 19 octobre 2011, F.J.F., No. 2013/264).

On imagine sans peine que l’administration est également réticente à accepter qu’une provision ne serait pas imposable « en une fois » pour l’exercice d’imposition au cours duquel les conditions d’exonération ne seraient plus réunies.

Il nous semble que la loi prévoit bien qu’une réduction de valeur ou une provision pour risques et charges antérieure, constituée en exonération d’impôt conformément à l’article 48 du C.I.R. 1992 doit être considérée comme un bénéfice de la période imposable pour laquelle il ressort que la réduction de valeur ou la provision concernée ne satisfait plus aux conditions posées par ledit article et les articles 22 à 27 de l’A.R. du C.I.R. 1992.

La « probabilité » permanente de la perte ou de la charge a trait aussi bien à l’importance du montant de la perte ou de la charge, qu’à la « probabilité » du fait lui-même à l’origine de la réduction de valeur ou de la provision. Ces deux éléments doivent être examinés chaque année (question parlementaire orale n° 1543 de M. Van der Maelen du 24 janvier 2007, QRVA, 51e sess., 162, 16 avril 2007, p. 31613).

L’exonération des provisions visées aux articles 24 à 26 de l’A.R. du C.I.R. 1992 est maintenue aussi longtemps que le contribuable est en mesure d’établir la vraisemblance de cette provision. À défaut de justification au terme d’une période imposable, la provision est considérée comme un bénéfice afférant à cette période (question parlementaire orale n° 14743 de M. Roppe du 28 mars 2007, CRABV, 51e sess., COM, 1259).

Pour terminer, on a dit que l’on toucherait un mot de l’article 3:46 du CSA.

Les créances à plus d’un an et à un an au plus font l’objet de réductions de valeur si leur remboursement à l’échéance est en tout ou en partie incertain ou compromis (insolvabilité du créancier, contestation de la créance, etc.).

Celles-ci doivent être comptabilisées quel que soit le résultat de l’exercice.

Elles peuvent également faire l’objet de réductions de valeur lorsque leur valeur de réalisation à la date de clôture de l’exercice est inférieure à leur valeur comptable déterminée conformément à l’article 3:45 du CSA. Les réductions actées ne peuvent être maintenues si elles excèdent en fin d’exercice une appréciation basée sur des critères de prudence, de sincérité et de bonne foi.

Au point de vue comptable, les créances perdues ou irrécouvrables sont amorties entièrement lorsque la perte a acquis un caractère définitif et certain. Ces créances seront prises en charges dans l’année et elles ne transitent pas à l’actif du bilan dans un compte de créances douteuses.

La CNC a eu l’occasion d’émettre deux avis (Avis n° 127/1, bull. n° 7, juin 1980, pp. 10-12 et Avis n° 137/6, bull. n° 21, janvier 1988, pp. 18-20) relatifs à cette matière.

Le premier avis a trait à la licité au regard du droit comptable des réductions de valeur forfaitaires, destinées à tenir compte des risques diffus qui existent dans un ensemble de créances. Cette possibilité comptable n’est ouverte que pour les entreprises dont les créances sont d’un montant limité et qui, au moment de leur octroi, sont normalement appréciées dans une large mesure sur une base statistique. Dans ce cas, la constitution de réductions de valeur forfaitaires répondra, selon la CNC, à la vérité économique pour autant que le taux retenu soit justifié effectivement par le niveau des pertes réelles subies par l’entreprise, au cours d’une période d’observation appropriée - chaque année mise à jour - sur des créances de ce type ; le cas échéant, ces créances seront subdivisées pour obtenir des échantillons statistiques homogènes.

Le deuxième avis a trait à l’interprétation des articles 13 et 19, alinéa 3, de l’A.R. du 8 octobre 1976 (devenus entretemps art. 50 et 33 de l’A.R. du C.Soc. et actuels art. 3:28 et 3:11 de l’A.R. du CSA). La CNC estime qu’en cas de risques prévisibles et de pertes éventuelles dont l’estimation est inévitablement aléatoire, l’entreprise est dispensée de constituer une provision et n’est tenue que de faire mention du risque dans l’annexe aux comptes annuels. Des provisions ne peuvent pas être constituées pour des risques ou pertes prévisibles ou probables dont l’ampleur est totalement indéterminable au risque de compromettre le caractère fidèle des comptes annuels.

Bien entendu, les réductions de valeur ne sont considérées, en principe, que pour le montant de la créance hors TVA, celle-ci étant récupérable.

En droit fiscal, une créance liquide et certaine fait partie du bénéfice imposable dès sa naissance en vertu de la notion de bénéfice en termes dactif net. En fait, larticle 48, alinéa 1er, du C.I.R. 1992 confirme une ancienne jurisprudence de la Cour de cassation qui a été très contestée par la doctrine et qui a admis que des réductions de valeur ne peuvent être déduites quaux conditions (et, jusquà lexercice dimposition 1996, aux limites) déterminées par le Roi, sauf si la perte est définitivement établie.

L’administration défend que le régime d’exonération d’impôt pour les réductions de valeur pour pertes probables ne s’applique que pour celles qui se rapportent à des créances commerciales non représentées par des titres, c’est à dire des créances liées à des livraisons de biens ou de services effectués (ce régime n’est donc pas applicable à, par exemple, l’octroi exceptionnel d’un crédit à une société liée, par une société qui n’est pas une société de crédit) (question parlementaire n° 146 de Mme Van de Casteele du 10 novembre 1995, Bulletin Questions et Réponses n° 20).

Cette position trouverait appui dans les travaux parlementaires de la loi du 22 novembre 1962. Cette analyse restrictive n’a pas été acceptée par la jurisprudence. Abstraction faite de la question de savoir s’il est nécessaire de procéder à une interprétation de l’article 48 du C.I.R. 1992, la Cour d’appel gantoise constate que l’analyse de l’administration ne trouve aucun appui dans lesdits travaux parlementaires (Gand, 16 février 2010, T.F.R., 384, 15.06.2010).

Les « pertes » sur créances doivent être scindées en deux catégories :

  • celles correspondant à des moins-values définitives : il s’agit de la situation dans laquelle l’entreprise peut prouver au moyen d’éléments probants que la réduction de valeur alléguée correspond effectivement à une perte incontestable ou quasi certaine desdites créances. Dans ce cas, la perte de la créance peut être déduite.
    Cette première catégorie résulte de la jurisprudence contestée de la Cour de cassation qui implique que le caractère définitif d’une perte ne peut être acquis aussi longtemps qu’il y a l’ombre d’une chance de paiement (Cass., 15 mai 1987, RW 1987-88, 499).
  • celles correspondant à des moins-values seulement probables : le caractère irrécouvrable de la créance n’est pas certain et irrévocable.

Les pertes auxquelles les réductions de valeur sont destinées à faire face ne peuvent être déduites qu’aux conditions déterminées par le Roi (art. 22, 23 et 27 de l’A.R. du C.I.R. 1992).

Il faut encore distinguer les réductions de valeur « ordinaires » de celles pratiquées à l’occasion d’un régime judiciaire organisé (mais on a dit qu’on n’en parlait pas ici).

Il a déjà été indiqué que les dispositions de l’article 48 du C.I.R. 1992 et ses dispositions d’application dérogent au droit des sociétés (et des associations) et au droit comptable.

On a vu aussi qu’en raison des termes de l’article 22 de l’A.R. du C.I.R. 1992, les réductions de valeur susceptibles d’être exonérées sont plus limitées que celles visées par le droit comptable : la disposition fiscale vise uniquement les abattements apportés à la valeur historique de créances non représentées par des titres en vue de tenir compte de la dépréciation non définitive de celles-ci. Il peut être soutenu que la déduction des réductions de valeur sur créances est régie de manière autonome par la législation fiscale.

Avant l’exercice d’imposition 1996, l’exonération des réductions de valeur sur créances étaient soumises à certaines limites quantitatives en fonction du chiffre d’affaires et du total du bilan. Ces limites ayant été abolies (car très facilement contournables), seules subsistent le problème de la preuve de la perte probable et l’évaluation de celle-ci.

Si les réductions de valeur (sur créances) effectuées en application des principes comptables de prudence, de sincérité et bonne foi devraient en principe être fiscalement acceptées, les considérations suivantes doivent cependant être gardées à l’esprit pour éviter les contestations du fisc :

  • seules les réductions de valeur basées sur une identification spécifique et dont le remboursement à l’échéance est incertain ou compromis peuvent être acceptées fiscalement, sans limite (les réductions de valeur « globales » sont, comme par le passé, imposées au titre de réserves fiscales). Une créance échue et non encore honorée ne peut conduire ipso facto à l’acceptation fiscale d’une réduction de valeur (Gand, 23 mai 1996, F.J.F., No. 96/235 et Gand, 30 septembre 2014, rôle n° : 2013/AR/1847) ;
  • pour les pertes sur créances par suite de faillite : les principes antérieurs restent d’application. Pour l’administration, la perte n’est considérée comme définitive et certaine qu’au moment de la clôture de la faillite. Toutefois, elle admet que si le créancier se trouve en possession d’une attestation du curateur, de laquelle il ressort que la créance doit être considérée comme définitivement perdue, cette perte est tenue pour certaine et liquide au moment de la délivrance de cette attestation. Cette attestation doit être clairement individualisée, c’est à dire qu’elle doit désigner une créance déterminée et écarter toute possibilité de paiement lors de la liquidation. Une attestation délivrée par le curateur, qui se borne par exemple à stipuler que l'actif ne permet aucune distribution de dividendes en faveur des créanciers chirographaires, n'est, en revanche, pas satisfaisante (question parlementaire n° 1480 de M. Dupré du 27 mars 1995, Bulletin des Questions et Réponses n° 152).

Cette position, qui reste fort restrictive, et rarement rencontrée dans les faits car le curateur pense avant tout à sa responsabilité, est tempérée par de nombreux arrêts de jurisprudence qui se sont montrés nettement plus souples quant à l’appréciation du moment où la créance peut être considérée comme définitivement perdue (Anvers, 16 octobre 1995 ; Civ. Mons, 15 juillet 2005) ;

  • les réductions de valeur doivent respecter le principe de l’annualité de l’impôt. Elles doivent être opérées lors de l’exercice voulu et non ultérieurement. Une réduction de valeur « post annum » ne peut, en principe, être admise (Liège, 24 avril 2009, rôle n° : n° 2007/RG/1789).

De même, les créances devenues douteuses entre la date de clôture des comptes annuels et la date à laquelle ces comptes annuels sont arrêtés par l’entreprise doivent être provisionnées (voir art. 3:11 de l’A.R. du CSA). Cette opération ne peut toutefois pas être admise fiscalement et la réduction de valeur comptabilisée devra être reprise parmi les réserves fiscalement taxables. En effet, aux termes de l’article 22, 2°, de l’A.R. du C.I.R. 1992, il est toujours nécessaire que la perte résulte de circonstances particulières survenues au cours de l’exercice comptable. Il subsistera toujours, dans ce cas, une discordance entre le résultat comptable de l’entreprise et son résultat fiscal ;

  • lorsque la perte n’est plus probable et si la reprise comptable de ces réductions de valeur n’a pas été effectuée, l’administration effectuera une reprise fiscale sous forme d’une réserve occulte.

En principe, l’administration devrait admettre comme définitivement perdue une créance ancienne qui a fait l’objet de rappels et dont le montant est trop petit pour justifier l’établissement de frais de recouvrement supplémentaires. Il s’agit d’une appréciation en fait.

Il est cependant certain que pour emporter la conviction du contrôleur, l’entreprise a intérêt à présenter une comptabilité régulière qui assure qu’elle prend en compte les éventuels remboursements de créances antérieurement apurées.

Le Commentaire administratif indique que : « L’admission de réductions de valeur sur créances est subordonnée à la production, par le contribuable, d’indications suffisantes relativement au degré d’insolvabilité de ses débiteurs. Il convient d’apprécier l’importance des réductions de valeur admissibles à la lumière des seuls faits et circonstances existant à la fin de l’année ou de l’exercice comptable au cours de laquelle (duquel) elles sont actées » (Com.I.R. 1992, n° 24/118).

Il faut rappeler que la notion de perte ou de réduction de valeur sur créances est différente de celle de frais professionnels. Selon la jurisprudence (Cass., 28 janvier 1982, F.J.F., No. 82/93), la comptabilisation d’une créance en perte doit être examinée dans le cadre de l’article 24 du C.I.R. 1992, ce qui signifie qu’il ne faut pas vérifier ou prouver que la créance comptabilisée a pris naissance ou a été utilisée dans le but d’acquérir ou de conserver des revenus imposables. La déductibilité des moins-values ou pertes sur créances est une question de détermination du bénéfice brut et non des frais professionnels. C’est la raison pour laquelle le contribuable peut se contenter de prouver le caractère irrécouvrable de sa créance.

Mots clés

Articles recommandés