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Elle n’est pas belle, la vie …
Un inquiétant projet de loi est en passe d’être adopté et fait du reste l’objet d’un accord gouvernemental. Et le mise en œuvre de ce projet est plus qu’inquiétante, dans la mesure où il franchit un pas de plus dans la lente et inexorable érosion du secret bancaire et de la protection des droits fondamentaux du contribuable.
Une question fondamentale se pose : la lutte contre la fraude fiscale, qui est, dans l’absolu, une noble cause, peut-elle tout justifier, et notamment que des analyses informatiques aveugles plongent de nombreux contribuables dans les affres d’un contrôle fiscal sans aucune protection humaine. A titre personnel, je ne le pense pas et ne suis pas le seul à adopter ce point de vue.
Depuis 2013, le Point de contact central (PCC) de la BNB centralise tous les comptes bancaires, contrats financiers, assurances-vie et comptes étrangers des contribuables. Depuis 2022, les banques doivent également transmettre les soldes semestriels et montants globalisés de divers produits financiers.
L’administration ne peut consulter ces données qu’en présence d’indices de fraude ou dans un contrôle ciblé, avec autorisation hiérarchique, motivation et information du contribuable.
Le fisc connaît donc déjà l’existence et les soldes périodiques des comptes, mais pas l’ensemble des transactions. Et son usage de ces données est limité et strictement encadré.
Le projet ajoute aux informations stockées dans le PCC celles relatives aux comptes-titres, aux crypto-actifs, aux données CRS étrangères, et renforce par ailleurs le reporting bancaire.
Les banques transmettront ainsi systématiquement les soldes et informations liées à tous les produits financiers.
Des mesures spécifiques permettront de contrôler les opérations sur comptes-titres, notamment celles dépassant 1 million d’euros. Certaines obligations commenceront dès 2026, avec une remontée historique dès 2025.
Un nouvel article permettra au SPF Finances d’intégrer toutes les données du PCC dans un datawarehouse pseudonymisé en vue d’utiliser l’ensemble de ces données pour du datamining, du datamatching et pour établir un profilage algorithmique. La dépseudonymisation ne serait possible qu’en présence d’indicateurs de risque peu ou mal définis à ce stade, avec un risque évident d’abus vu l’absence de contrôle préalable.
L’administration pourra consulter le PCC d’initiative sans indices préalables, renforçant l’idée d’une surveillance généralisée. Les garde-fous actuels disparaîtraient, avec toutes les conséquences négatives pour les contribuables qu’on peut aisément imaginer.
Les banques seront assujetties à une obligation de transmission semestrielle renforcée, et de déclaration des opérations sur titres supérieures à 1 million d’euros, standardisation des flux.
Du côté du SPF Finances, il est prévu de créer un datawarehouse central, de créer des algorithmes d’identification de risques, et de désigner des équipes de fonctionnaires habilités.
Le contribuable devra être informé en cas de consultation nominative, l’administration devra respecter les règles du RGPD, et il lui sera interdit d’utiliser le seul résultat du datamining comme preuve directe pour établir une taxation.
Même si le secret bancaire existera toujours formellement, la centralisation massive et l’usage du datamining donneront au fisc une vision quasi complète du patrimoine financier des citoyens. On passe ainsi d’un contrôle ciblé à une surveillance prédictive.
Les concepteurs du projet le justifient par la possibilité d’une meilleure détection des fraudeurs, par l’optimisation des ressources dont dispose l’administration fiscale, et par l’intégration des données CRS. Avec, en théorie et en conséquence, une pression renforcée sur les grandes fortunes.
L’Autorité de protection des données juge quant à elle ces mesures disproportionnées et craint un détournement de finalité, à savoir que des instruments créés au départ pour l’anti-blanchiment soient utilisés en définitive pour des contrôles fiscaux généralisés. Je partage totalement ces craintes, qui me paraissent parfaitement justifiées.
Les détracteurs du projet, dont je suis, dénoncent le risque de contrôles multiples engendrés par des modèles préétablis et ratissant large, engendrant des risques de désignations injustifiées, et insistent sur des précédents étrangers inquiétants, notamment chez nos voisins néerlandais.
Le datamining détermine les cibles de contrôle, avec des conséquences lourdes, couteuses et chronophages pour les contribuables et leurs conseillers.
Le fisc disposera d’une connaissance très fine des flux bancaires avant même de contacter le contribuable.
La charge de justification que ces contrôles systématiques et automatiques leur feront porter augmentera donc considérablement.
Il sera primordial d’assurer la cohérence entre les flux financiers et les déclarations fiscales et impératif de conserver la documentation probante justifiant toute opération importante ou atypique.
Pour le reste, tout contribuable concerné par les questionnements saugrenus que ce nouveau Big Brother ne manquera pas d’engendrer sera bien avisé d’utiliser les droits dont il peut bénéficier en vertu du RGPD pour vérifier et contester l’usage des données le concernant, et, le cas échéant, d’exercer les recours juridictionnels possibles en cas de disproportion.
Quant aux détenteurs de grandes fortunes et aux titulaires de situations patrimoniales complexes, qui sont utilisés comme de mauvais justificatifs à cette loi tenant plus de la chasse aux sorcières fiscales que d’un objectif équilibré entre lutte contre la fraude et respect des droits élémentaires du citoyen contribuable, on ne les trouvera pas.
Ils examinent cela de loin, sereinement, établis de longue date sous des cieux fiscaux plus cléments…