L’IA Act: quelles conséquences pour la profession comptable dès le 2 août 2025 ?
Temps de lecture: 6 min | 20 août 2025 à 04:15
Emmanuel Degrève
Président @ OECCBB
Le Règlement (UE) 2024/1689, dit IA Act, adopté le 12 juillet 2024, constitue le premier cadre législatif horizontal en matière d’intelligence artificielle. Son application est progressive : après l’interdiction de certaines pratiques depuis février 2025, le 2 août 2025 marque une étape importante avec l’entrée en vigueur des obligations relatives aux modèles d’IA à usage général (GPAI) et la mise en place de la gouvernance européenne et nationale.
Cette échéance touche de manière différenciée les grandes entreprises, les indépendants et professions libérales, mais aussi les cabinets d’expertise comptable, qui se trouvent à l’interface entre la réglementation et l’accompagnement de leurs clients.
1. Principes structurants de l’IA Act
Le règlement repose sur une approche fondée sur les risques :
Pratiques interdites (art. 5) : interdiction de certains usages attentatoires aux droits fondamentaux (scoring social, reconnaissance émotionnelle en entreprise).
Systèmes à haut risque (annexe III) : recouvrant notamment l’emploi, l’éducation, l’octroi de crédit ou l’assurance.
Systèmes à usage général (GPAI) : grands modèles de langage ou générateurs multimodaux intégrés dans de nombreux outils, visés directement à partir du 2 août 2025.
Littératie en IA : exigence pour les utilisateurs d’acquérir un niveau de compréhension suffisant afin d’assurer une supervision humaine effective.
2. Nouveautés au 2 août 2025
Trois évolutions principales doivent être relevées :
Obligations GPAI : documentation technique, transparence sur les données d’entraînement et leurs limites, respect du droit d’auteur.
Code de conduite GPAI : validé par l’AI Office, servant de référence pour la conformité.
Gouvernance : montée en puissance des autorités européennes (AI Office, AI Board) et nationales.
3. Impacts différenciés selon le profil
A. Les grandes entreprises
Obligation de due diligence vis-à-vis des fournisseurs de GPAI.
Anticipation des cas à haut risque dès 2026 (emploi, crédit, assurance).
Exemple : une institution financière utilisant un algorithme de scoring devra préparer sa mise en conformité (gestion des risques, enregistrement auprès de l’UE, supervision humaine).
B. Les indépendants et professions libérales
Impact limité et indirect : ils consomment des outils d’IA sans les développer.
Obligation de vigilance : vérifier que les logiciels utilisés respectent le cadre légal et n’intègrent pas de pratiques interdites.
Exemple : un médecin utilisant un assistant de rédaction automatique n’aura pas à produire de documentation, mais devra s’assurer que le fournisseur en fournit une et rester en mesure de superviser l’outil.
C. Les cabinets et experts-comptables
Pour les cabinets, l’impact se situe à deux niveaux :
En tant qu’utilisateurs d’IA
Automatisation de tâches (classement de factures, lettrage, rédaction) : impact modéré, mais nécessité d’exiger la documentation GPAI et d’organiser la supervision humaine.
Formation des collaborateurs pour respecter l’obligation de littératie.
En tant que conseillers
Anticiper les risques pour les clients, surtout dans les secteurs « à haut risque ».
Adapter la lettre de mission pour intégrer :
des clauses relatives à l’usage de l’IA par le cabinet lui-même (supervision, responsabilité) ;
des mentions sur l’accompagnement en matière de conformité IA pour les clients.
Ainsi, la mission de l’expert-comptable ne se limite plus à la conformité comptable et fiscale : elle s’élargit à la gouvernance technologique et réglementaire.
4. Exemple comparatif
Grand groupe : une banque utilisant un algorithme de scoring devra mettre en place, d’ici 2026, un système de gestion des risques, une transparence vis-à-vis des clients et un enregistrement auprès de la base européenne.
Indépendant : un avocat recourant à un logiciel de rédaction automatique devra vérifier la documentation fournie par l’éditeur et rester en mesure de corriger les résultats.
Cabinet comptable : un cabinet intégrant un assistant conversationnel fiscal devra s’assurer que l’outil respecte les interdictions, documenter son usage et informer ses clients de la méthodologie et de ses limites, possiblement via une adaptation de la lettre de mission.
5. Tableau de synthèse
Profil
Impact au 2 août 2025
Exigences futures (2026-2027)
Rôle de l’expert-comptable
Grandes entreprises
Due diligence sur les GPAI ; documentation obligatoire
Conformité pour les cas « haut risque » (emploi, crédit, assurance, etc.)
Structurer gouvernance IA, préparer FRIA/DPIA, intégrer dans le contrôle interne
Indépendants / professions libérales
Impact indirect ; usage d’outils standards ; obligation de littératie IA
Impact limité sauf usage spécifique « haut risque »
Vérification contractuelle, sensibilisation aux usages interdits
Cabinets et experts-comptables
Formation interne (littératie), supervision humaine, mise à jour des outils et lettres de mission
Conseil renforcé auprès des clients sur la conformité IA
Intégrer l’IA Act dans les missions et adapter la documentation contractuelle
6. Recommandations
Auditer les usages actuels de l’IA dans le cabinet et chez les clients.
Mettre en place un plan de formation interne pour répondre à l’obligation de littératie.
Exiger des fournisseurs de solutions IA la documentation prévue par l’IA Act.
Adapter les lettres de mission en intégrant des clauses relatives à l’usage et à la supervision des outils d’IA.
Anticiper les cas « haut risque » pour les clients exposés (banques, assurances, RH).
Renforcer la fonction de conseil de l’expert-comptable en matière de gouvernance numérique et réglementaire.
Conclusion
Le 2 août 2025 marque une étape dans la régulation européenne de l’intelligence artificielle. Si l’impact est immédiat et structurant pour les grandes entreprises, il demeure plus indirect pour les indépendants et professions libérales. En revanche, pour les cabinets comptables, la date constitue un jalon à ne pas négliger : elle impose une révision des pratiques internes, de la formation et des documents contractuels.
Dans ce contexte, l’Ordre des Experts-Comptables et Comptables Brevetés de Belgique (OECCBB) entend jouer pleinement son rôle. À travers son initiative consacrée à l’IA, l’Ordre accompagnera la profession afin de faciliter la mise en conformité et de donner aux experts-comptables les outils nécessaires pour rassurer et conseiller leurs clients.
Mots clés
ProfessionExpertise comptableIntelligence artificielle (IA)DigitalisationAI ActUnion européenne (UE)GPAIGestion du risque