Depuis sa première élection, et plus encore depuis sa tentative de coup d’État en janvier 2021, je suis convaincu que Trump représente une profonde rupture dans l’ordre du monde, et que cette dernière n’autorisera aucun retour à une normalité passée (ce qui, d’ailleurs, n’est jamais le cas).
Donald Trump veut tout fragmenter, diviser, déstabiliser, faire osciller, tamiser et vulnérabiliser, dans cette logique d’économie de marché qui, inspirée des marchés boursiers, promet l’optimum individuel si toutes les actions humaines émanent d’êtres vulnérables, face à leur destin, comme des arbres mis à vif car on en a arraché l’écorce.
Trump dynamitera, au profit des États-Unis, tout ce qu’il pourra, raison pour laquelle une nouvelle polarité monétaire, certes encore naissante, se crée autour de la Chine, pays lui-même en interdépendance avec les États-Unis mais dont la philosophie politique ne peut s’accommoder des (apparentes) errances de la doctrine de Trump.
Car il ne faut pas s’y tromper : le risque est le dollar, monnaie de référence donc systémique, dont les États-Unis sont les plus grands bénéficiaires puisque cette devise de réserve leur confère le privilège exorbitant de pouvoir s’endetter à très bon compte auprès du reste du monde, leur endettement bénéficiant d’une prime de liquidité associée à ce statut unique.
La question est évidemment de savoir quel serait l’intérêt des États-Unis à saborder leur propre devise. La réponse n’est pas immédiate mais peut être posée différemment : combien de temps le reste du monde acceptera-t-il de prendre le risque de dépendre d’une monnaie qui ne revêt plus l’attribut de confiance ultime, puisque Trump exige que son propre institut d’émission, la Federal Reserve, soit mis sous tutelle politique (ce qui est déjà le cas, sans que ce soit dévoilé de manière ostentatoire).
Si, un jour, le dollar s’effondre, c’est toute l’économie mondiale qui subit une décharge d’une terrifiante intensité, parce qu’aucune entreprise ni aucun patrimoine privé n’est à l’abri. Il suffit de penser à une institution financière, telle une banque, qui pourrait se croire à l’abri d’un choc sur le dollar car tous ses actifs sont libellés, par exemple, en euros, mais qui verrait ses contreparties, et donc la solvabilité de ses emprunteurs, fouettée par un choc monétaire. Quand on combine les effets directs et indirects, on en arrive à un choc eschatologique et systémique, c’est-à-dire non diversifiable.
C’est peut-être parce que ce risque est non diversifiable qu’il ne se présentera jamais, un peu comme l’équilibre de la terreur qui conduit à ce que toute action hostile d’un belligérant entraîne sa propre destruction.
Il n’empêche : Trump nous montre le chemin de l’impensable. Et, comme le disait Nietzsche, ce n’est pas le doute, mais la certitude qui rend fou. C’est pour cette raison que ne pas penser l’impensable rendra fous ceux qui cherchent des invariants historiques.