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Cession d’un immeuble par nature relevant du patrimoine personnel et assujettissement à la TVA

Par un arrêt important, la CJUE accentue sa jurisprudence selon laquelle est considéré comme un assujetti une personne qui cède un terrain faisant initialement partie de son patrimoine personnel en confiant la préparation de la vente à un opérateur professionnel, lequel effectue, en qualité de mandataire de cette personne, des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant, en vue de cette vente, des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services (CJUE, arrêt du 3 avril 2025, Grzera, affaire C-213/24).


Cet article est écrit et diffusé dans le cadre du Tax TV Show du mois de juin, disponible en live et en replay sur oFFFcourse.


Les faits

En 1989, Mme E. T. et son conjoint, M. W. T., sont devenus propriétaires de plusieurs parcelles de terrain agricole en Pologne dans le cadre d’un accord de transmission à titre gratuit par les parents de W. T. d’une exploitation agricole à un successeur. Ces terrains sont entrés dans la communauté légale des conjoints T.

En 2011, le couple a décidé de vendre ces parcelles et a conclu à cette fin un contrat de mandat avec la société B. A. Z. ( le mandataire). Le mandataire était notamment chargé d’organiser le lotissement de la propriété en parcelles plus petites et de faire les démarches nécessaires pour modifier en conséquence les inscriptions au registre foncier et au cadastre, de modifier la désignation des parcelles dans le plan local d’aménagement du territoire (de terrains agricoles à terrains à bâtir), d’équiper la propriété en réseaux d’utilité publique, de faire la publicité des parcelles auprès d’acquéreurs potentiels et de préparer les documents nécessaires en vue de la conclusion des actes notariés de vente aux acquéreurs des parcelles.

Les parcelles ont été vendues entre 2017 et 2021.


L’enjeu

E. T. et W. T. estiment que les ventes relèvent de la simple gestion d’un patrimoine personnel, de sorte qu’elles ne sont pas soumises à la TVA.

Le fisc, au contraire, estime que ces ventes constituaient une activité économique devant être soumise à la TVA, estimant que les parcelles de terrain en cause, qui étaient des terres agricoles, ont été converties en terrains à bâtir avant leur vente et qu’une parcelle supplémentaire a été achetée afin de créer des voies intérieures et des voies d’accès aux différents lots créés.


Rappel des 4 éléments constitutifs de l’assujettissement

Il ressort d’une jurisprudence constante de la CJUE que, pour apprécier l’indépendance de l’exercice d’une activité économique, il convient de vérifier si la personne concernée accomplit ses activités :

  • en son nom ;
  • pour son propre compte ;
  • sous sa propre responsabilité ;
  • en supportant le risque économique lié à l’exercice de ces activités (voir, inter alia, CJUE, arrêts du 26 mars 1987, Commission/Pays-Bas, C-235/85 ; du 27 janvier 2000, Heerma, C‑23/98; du 18 octobre 2007, van der Steen, C‑355/06; du 29 septembre 2015, Gmina Wrocław, C‑276/14 et du 12 octobre 2016, Nigl e.a., C340/15).


Assujettissement à la TVA confirmé

À propos de la vente d’un terrain à bâtir, la CJUE s’était déjà prononcée en ce sens que constitue un critère d’appréciation pertinent pour déterminer si une personne agit comme un assujetti le fait d’entreprendre des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ainsi que la mise en œuvre de moyens de commercialisation avérés. En effet, de telles initiatives ne s’inscrivent normalement pas dans le cadre de la gestion d’un patrimoine personnel, de sorte que les opérations en résultant ne sauraient être considérées comme le simple exercice du droit de propriété. De telles initiatives s’inscrivent plutôt dans le cadre d’une activité exercée en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence et pouvant ainsi être qualifiée d’économique (voir CJUE, arrêts du 15 septembre 2011, Słaby e.a., C180/10 et C181/10, points 39 à 41 et 46 ; du 9 juillet 2015, Trgovina Prizma, C331/14, point 24 et du 20 janvier 2021, AJFP Sibiu et DGRFP Braşov, C655/19, point 31).

La CJUE rejette expressément deux arguments invoqués pour écarter l’assujettissement obligatoire :

  • la circonstance selon laquelle le terrain en cause n’a pas été acquis aux fins de l’exercice d’une activité agricole ou commerciale n’exclut pas de qualifier la vente de ce terrain d’exercice d’une activité économique ;
  • le fait que ces démarches actives de commercialisation ont été effectuées, pour l’essentiel d’entre elles, non par les propriétaires du terrain à vendre, mais par un professionnel mandaté à cette fin.


Observations

L'administration fiscale polonaise a traité ces transactions comme une livraison de "terrains à bâtir" et a donc imposé la TVA . Selon la directive TVA, la livraison de terrains à bâtir peut être soumise à la TVA mais cette faculté n’a pas été retenue par la Belgique.

En Belgique, de telles personnes ont donc la qualité d’assujetti exonéré à l’instar d’un particulier qui rénove des immeubles résidentiels pour les louer (Cass. 12 décembre 2003, C020130F – voir en ce sens « TVA – Mode d’emploi et exercices », Y. Bernaerts, Larcier, 2ème édition, juin 2025, p. 31 et 32).

Incidemment, cette affaire remet sur le tapis la question du passage obligé par la formalité issue de l’arrêté royal n°14 lorsqu’un assujetti ordinaire déposant autre qu’un constructeur professionnel vend un bâtiment encore considéré comme neuf (obligation d’informer son cocontractant de son intention d'effectuer l'opération avec application de la taxe, par une mention insérée dans le premier acte qui forme, entre eux, le titre de la cession d'un bâtiment).

Certes, la déclaration préalable 1041 a été supprimée avec effet au 1er janvier 2024. Il n’en reste pas moins que les termes de l’article 1er de l’arrêté royal n°14 font dépendre l’assujettissement de l’opération à la condition d’information du cocontractant : « … a pour cette opération, la qualité d'assujetti, à condition qu'elle informe son cocontractant de son intention… ».

Or, dans un tel cas, cette livraison d’un bâtiment neuf utilisé par un assujetti (autre qu’un promoteur immobilier) dans le cadre de son activité principale devrait d’office être taxée à la TVA sans passer par l’information précitée au sens de l’arrêté royal n°14 car cette livraison présente une proximité avérée avec son activité principale (voir, CJUE, arrêt du 13 juin 2013, Kostov, C-62/12 et du 17 octobre 2019, Paulo Nascimento Consulting, C692/17).


Pour un commentaire plus détaillé, voir Yves Bernaerts, Actualités TVA, 10 avril 2025, taxwin.be (Larcier)

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